Comment en est-on arrivé là ?

S’il fallait décerner un prix de l’imprévoyance et de l’irresponsabilité, les sociétés copropriétaires de la Tour Montparnasse l’auraient avec les félicitations du jury.
15 ans d’omerta et de déni, un désamiantage à la petite semaine, morceau par morceau, sans vision d’ensemble et sans organisation maîtrisée du déménagement des services, l’art de «  jouer la montre  » pour faire des économies...
Résultat  : le seuil réglementaire dépassé 72 fois en cinq ans et un demi-millier de salariés d’Amundi contraints d’évacuer la Tour en catastrophe à la demande de l’employeur.
Révélés par un article du Monde, les premiers résultats d’une expertise révèlent des anomalies dans l’étanchéité et la décontamination des zones de travail confinées, une migration des fibres d’amiante entre les étages par les gaines de ventilation.
Installés dans le déni, les copropriétaires ont claironné que ce rapport était « rassurant  » et qu’ils poursuivraient le journal !
Ils risquent de déchanter rapidement, car une information judiciaire pour « mise en danger d’autrui » a été confiée à deux magistrats du Pôle de Santé publique.
La responsabilité du Préfet est engagée.

 


Les premiers résultats de l’expertise sont inquiétants

72 dépassements du seuil réglementaire de 5 fibres d’amiante par litre d’air, des pertes d’étanchéïté et une dépollution incomplète des zones de travail confinées, un retrait non maîtrisé des plâtres amiantés (cauchemar des désamianteurs), une migration de la pollution entre les étages par les gaines techniques verticales de la Tour... Les faits sont accablants. Mais l’expert tient aujourd’hui des propos rassurants...

Suite à l’arrêté préfectoral du 13 août dernier, une expertise est en cours. Une note d’étape en donne les premiers résultats.

Les dépassements du seuil de 5 fibres

En 2013, des dépassements du seuil réglementaire de 5 fibres d’amiante par litre d’air ont été constatés sur onze niveaux différents : en janvier au 2ème sous-sol et au 58è étage, en février au 50è étage, en juin aux 32è, 33è,35è,37è, 44è et 46è étage, en août au 38è étage, en octobre au 1er sous-sol. Ces dépassements démontrent que le confinement du chantier n’était pas étanche et que le nettoyage de fin de travaux était insuffisant. La note pointe des anomalies dans « la protection collective du chantier en cours » et dans «  le processus organisationnel du chantier libéré ».

Le difficile retrait
des plâtres amiantés

La note précise que «  l’enduit plâtre de type Progypsol est le matériau majoritairement présent » dans ces locaux. Ce matériau est « pour les désamianteurs un des produits les plus difficiles à retirer ».
Une récente campagne de mesures de l’INRS «  a mis en évidence lors de travaux de retrait d’enduit plâtre une très forte émissivité en fibres d’amiante avec des niveaux d’empoussièrement très élevés en zone de travail dépassant les 25 000 fibres d’amiante en zone de travail par litre d’air   ».

La migration des fibres par les gaines techniques

Situées dans le noyau central de l’immeuble, des gaines verticales permettent la circulation de l’air, et le passage de divers réseaux (électricité, plomberie, téléphone).
La note de l’expert souligne que « les flux d’air dans ces gaines verticales sont élevés » qu’elles peuvent conduire à un «  transfert de pollution dans les niveaux environnants ». C’est ce qui s’est passé les 25 et 26 juin 2013 : le désamiantage des escaliers de secours a provoqué des dépassements de seuil sur 5 étages !
Les travaux de maintenance sont, eux aussi, «  susceptibles d’émettre de la fibre d’amiante », notamment « le tirage de câble entre niveaux. »

Un irresponsable déni du danger

« Cette note est de nature à rassurer les usagers du site puisqu’elle confirme l’absence de toute pollution par l’amiante », déclarent les copropriétaires, imperturbables.
Après l’article du Monde, l’expert a tenu dans les medias des propos rassurants, démentis par la gravité des faits relatés dans sa propre note d’étape !
La préfecture de Paris, a annoncé l’interruption «   jusqu’à nouvel ordre » des travaux de désamiantage, tout en précisant : « Il n’y a pas d’évacuation totale prévue à ce jour. »

 


Le seuil de gestion de 5 fibres d’amiante par litre d’air

C’est le niveau d’empoussièrement au-dela duquel un propriétaire d’immeuble a obligation d’effectuer des travaux de retrait ou d’encapsulage.
C’est aussi la valeur limite à ne pas dépasser à la fin d’un chantier de retrait d’amiante, avant toute rupture du confinement étanche de la zone de travail.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a préconisé en 2009 que ce seuil soit abaissé d’un facteur 10 (de 5 fibres à 0,5 fibres par litre).
Aucun gouvernement n’a appliqué jusqu’ici cette préconisation.
Dans la Tour Montparnasse, le seuil de 5 fibres a été dépassé 72 fois en cinq ans !

 


Marie-José Voisin :
«  On ne peut pas désamianter une tour de cette taille morceau par morceau »

Membre du bureau de l’Andeva, Marie-José Voisin a été enseignante à Jussieu. Secrétaire de CHSCT et vice-présidente du Comité anti-amiante, elle connaît bien les problèmes posés par un très gros chantier de désamiantage. Elle conteste le mode opératoire mis en oeuvre à la Tour Montparnasse.

Les travaux auraient-ils pu être conçus autrement ?

L’expérience du campus Jussieu montre qu’on peut désamianter sans polluer, si l’on évite les interférences entre les travaux et l’activité du personnel. On ne peut pas donner des cours au bout d’un couloir quand on désamiante à l’autre bout.
A Jussieu, des «  barres  » de 5 étages ont été vidées et traitées en isolant simultanément tous les niveaux. Dans la Tour Montparnasse, les salariés travaillent dans les bureaux proches des travaux. Si le confinement n’est pas étanche ou si le désamiantage est incomplet, leur espace de travail peut être pollué et la pollution peut migrer par les gaines de ventilation. Il y a eu 72 dépassements à la périphérie des chantiers d’amiante depuis 2009  ! On ne peut pas désamianter une tour de cette taille morceau par morceau.

Fallait-il évacuer la Tour avant de commencer ?

Si tous les occupants avaient été réinstallés dans des bureaux hors de la Tour avant le désamiantage, les travaux seraient déjà terminés. Non seulement les copropriétaires s’y sont refusés, mais ils ont fait traîner les travaux et n’ont pas pris de mesures efficaces pour garantir la sécurité du personnel qu’ils ont maintenu dans la Tour, à commencer par les services d’entretien, de maintenance et de sécurité. Ils nient les risques et font passer leurs intérêts économiques avant la santé des salariés. Le Préfet ne s’est pas donné les moyens de changer cette situation.

Quels seront les effets de la plainte pénale pour « mise en danger d’autrui   » ?

Elle peut faire avancer la prévention. Les magistrats recherchent les responsabilités. Une sanction pénale serait un bon moyen de rappeler aux propriétaires et aux employeurs qu’ils ont le devoir de veiller à la sécurité des salariés.

 


Information judiciaire pour mise en danger de la vie d’autrui

Suite à un signalement de l’inspection du travail, une information judiciaire pour « mise en danger de la vie d’autrui » a été ouverte début octobre.
Deux juges d’instruction spécialisés du Pôle de santé publique de Paris ont déjà commencé leurs investigations.
Ils devront rechercher quelles sont les causes des dépassements du seuil de 5 fibres par litre et déterminer la responsabilité des syndicats de propriétaires et des intervenants chargés du désamiantage.
Des fautes graves ont été commises. Elles doivent être sanctionnées.


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°44 (janvier 2014)