Après l’inscription de l’entreprise Akers à Berlaimont sur les listes ouvrant droit à la cessation anticipée amiante, l’Aldeva Sambre Avesnois vient de faire reconnaître par deux fois la faute inexcusable de Vallourec par le Tass de Valenciennes. Une victoire qui ne rendra ni sa santé à Michel ni son mari à Sylvette, mais qui confirme la responsabilité des dirigeants de Vallourec Aulnoye-Aymeries. Michel et Sylvette apportent leur témoignage et disent pourquoi ils sont allés en justice.

Le témoignage de Michel :
« Je ne pensais pas être concerné par l’amiante »


« J’ai travaillé chez Vallourec de 1971 à 2009, explique Michel Dancre.
Mon beau-frère y travaillait aussi. Il est mort d’un cancer du poumon dû à l’amiante. J’ai accompagné sa fin de vie douloureuse à l’hôpital.
Je ne pensais pas être concerné par l’amiante, mais j’ai tout de même passé un scanner pour me rassurer. Trois jours plus tard, on m’a remis les clichés dans une enveloppe, comme si on m’avait donné des photos. J’ai regardé le compte rendu. J’ai vu qu’il parlait d’amiante.

J’ai été interloqué. Je suis resté plusieurs minutes assis dans ma voiture...
Je n’avais jamais eu l’impression de prendre des risques inconsidérés en travaillant. J’étais soudeur, chaudronnier chez Vallourec. Je faisais des découpes au chalumeau, nous avions de grands tabliers en amiante pour ne pas brûler nos bleus, des gants en amiante pour protéger nos mains...
On nous encourageait à les porter pour notre sécurité  ! Quand j’y pense, cela me reste en travers de la gorge.
Les contremaîtres n’étaient pas conscients du danger, mais les dirigeants de haut niveau, eux, savaient dès cette l’époque que c’était nocif, et ils nous ont laissé l’utiliser.

Je suis révolté en pensant à mes collègues qui sont morts d’un cancer sans savoir que c’était dû à leurs conditions de travail.
Je suis en retraite depuis quatre ans. Je me balade souvent le long du canal. J’y rencontre des anciens collègues qui font du jogging ou du vélo. J’en parle souvent avec eux. Je leur dis ce qu’il m’arrive. Ils comprennent tout de suite. Eux aussi ont été exposés en travaillant sur des fours. Ils s’inquiètent mais ils n’ont pas envie de savoir... par peur.
Moi, je sais maintenant que j’ai des plaques pleurales dans les poumons et que je les garderai toute ma vie. Des collègues sont plus atteints que moi.

J’essaie de me rassurer, mais dès que j’ai une mauvaise toux ou une douleur dans la poitrine, je pense à l’amiante...
Si j’ai engagé une action en faute inexcusable de l’employeur devant le Tass de Valencienne, ce n’est pas par esprit de vengeance C’est pour obliger les responsables à reconnaître qu’ils ont eu tort.
C’est pour leur dire :
«  Vous avez mal agi. Vous saviez. Vous n’aviez pas le droit de nous laisser travailler avec un produit aussi dangereux. Aujourd’hui, si vous connaissez d’autres dangers, agissez immédiatement ! ».

Le témoignage de Sylvette :
« Les indemnisations ne remplaceront jamais une vie humaine »

« Suite à une chute de vélo sans gravité pendant les vacances, nous avons emmené mon mari aux urgences le 4 juillet 2011.
Un interne m’a annonçé le lendemain qu’il était atteint d’un cancer du poumon avec des métastases au cerveau.
Il a fallu prévenir les enfants sans leur dire la gravité, ramener la caravane, avertir des membres de la famille qui m’ont rejointe...
Jean-Claude a été rapatrié le samedi en avion à l’hôpital de Lille. L’interne de pneumologie m’a annoncé qu’il était au stade du palliatif. Nous étions anéantis... Les médecins l’ont interrogé sur son activité professionnelle à Vallourec. Ils soupçonnaient l’amiante.

Il a fallu annoncer la nouvelle aux petits enfants qui ne comprenaient pas  : papi parti en vacances et aujourd’hui très gravement malade...
Peu après, Jean-Claude a été opéré en urgence d’un œdème cérébral et transféré dans un autre hôpital. La maladie gagnait du terrain. Il maigrissait ; il avait un regard triste...

Un soir une interne lui a dit   : « Monsieur, vous avez un cancer, on vous le dira tous les jours jusqu’à ce que cela arrive à votre cerveau. Est-ce que vous avez compris  ?  » Il a répondu : oui. Nous avions les bras coupés. C’était terrible à entendre.
Il est revenu dans une clinique de Valenciennes. Quand j’ai dit au docteur que mon mari avait travaillé 30 ans au traitement thermique chez Vallourec, il a dit : « Encore Vallourec ! »
Les examens ont confirmé  que c’était un adénocarcinome pulmonaire dû à l’amiante. Ce poison ! Mon mari m’a dit  : «  Les trois quarts des copains avec qui j’ai travaillé sont morts. »

Il est rentré 10 jours à la maison. Il dormait dans le salon, sur un lit médicalisé. Je dormais à côté de lui dans le canapé. Il ne mangeait presque plus rien, ses yeux perdus, il dépérissait de jour en jour. Il avait des angoisses. J’essayais de le rassurer, mais je savais qu’il ne pouvait plus tenir longtemps, il avait perdu au moins 20 kilos. Il est rentré à l’hôpital un dimanche à 16 heures, pour ne plus jamais ressortir vivant.
En tant que représentante de la mairie, j’allais tous les ans à l’assemblée générale de l’Aldeva SA avec mon mari. Nous entendions les misères des gens atteints de ce mal. Et puis, à mon tour, je suis allée à l’association, en tant que victime...

J’ai fait les démarches avec l’Aldeva SA, afin que Vallourec soit reconnu coupable d’avoir fait travailler des gens dans des conditions entrainant une maladie à l’issue fatale.
Eux savaient et n’ont jamais réagi. Ils ont caché ce fléau sanitaire, au détriment des ouvriers et de leurs familles. Et, pendant des années, on a lavé les bleus de travail, sans savoir qu’on pouvait contaminer tout le monde.
Les indemnisations ne remplaceront jamais une vie humaine. ça bouleverse toute une vie de famille. A l’heure actuelle, je suis seule alors que nous voulions profiter de notre petite retraite. Nous avions des projets de voyage et aujourd’hui tout s’est effondré. Mon fils me dit : l’argent ne fera pas revenir papa.

Je remercie toutes les personnes qui ont apporté leur témoignage, celles qui sont venues rendre visite à mon mari et la famille qui l’a soutenu.
Merci à l’équipe d’Aldeva SA, merci à Sabine que je suis souvent allée voir quand je n’avais pas le moral, et qui m’a toujours reçue avec le sourire. Merci à notre avocat François Lafforgue et ses collaborateurs qui ont été compétents et humains. »

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°44 (janvier 2014)