Michel Bouvet, le président de l’Advarm 72, a des raisons d’être satisfait : en l’espace de quelques mois, le Tribunal des Affaires de Sécurité sociale de la Sarthe a reconnu trois fois la faute inexcusable de la société Renault au Mans : le 20 juin pour André Pousse, le 4 septembre pour les familles de Raymond Méteyer et de Patrice Trehet, tous deux décédés d’un cancer de l’amiante. En visite au siège de l’Andeva à Vincennes, ils tirent les leçons de ces victoires judiciaires, arrachées de haute lutte face à un patronat de choc.

« J’ai continué le dur combat de mon mari »

«  Mon mari a travaillé de nuit pendant près de 30 ans chez Renault , explique Renée Méteyer. Il a été débardeur : il déchargeait l’amiante qui arrivait par wagons. Il a été cariste : il approvisionnait la fonderie et la tôlerie. Au quotidien, il respirait et se mouchait amiante. Il prenait des antidouleurs tous les jours pour calmer ses maux de tête incessants. Il est mort la veille de ses 67 ans. Il voulait que Renault soit puni. J’ai continué son dur combat. »

Martine Tréhet témoigne à son tour : « Mon mari a travaillé à l’usine Renault du Mans de 1968 à 2010. Il intervenait comme dépanneur en mécanique. Les freins et les embrayages étaient à base d’amiante. Après le démontage des carters de protection, l’air se chargeait de poussières noires très volatiles, le nettoyage s’effectuait avec des pinceaux et des chiffons. Il est parti en retraite à 59 ans. Pendant un an, il a pu mener les activités qu’il aimait : le billard, le bricolage... A 60 ans, il a appris qu’il avait un cancer broncho-pulmonaire. Malgré tous ses efforts, l’amiante l’a emporté en une année dans des souffrances atroces, laissant tous ses projets à l’abandon.
Il est décédé à 61 ans, laissant une veuve et deux enfants, dont un fils de 23 ans en étude. Je l’ai accompagné, entouré de ses proches, jusqu’au dernier moment. C’est une grande souffrance d’être à ses côtés et de ne rien pouvoir faire...
 »

« L’association nous a beaucoup aidées »

Martine et Renée rendent toutes deux hommage aux bénévoles de l’Advarm 72 qui les ont aidées dans toutes leurs démarches et qui leur ont apporté un soutien moral.
Face à tous les obstacles rencontrés, elles n’ont jamais été seules.

Une famille entière décimée

André Pousse se souvient des conditions de travail très dures qu’il a connues de 1976 à 1981 : « Je découpais au couteau de boucher les sacs de 25 kilos d’amiante en vrac, qui étaient incorporés dans le brai pour former du blackson. Pour me protéger je n’avais qu’un petit masque en « nez de cochon ». On nous en donnait un par semaine. A la fin de la journée, on l’accrochait à un clou pour s’en resservir le lendemain. Après chaque empatage, on nettoyait les bleus avec une « soufflette » d’air comprimé. »

Sa famille a été durement frappée : « En juin 1951, mon père a été victime d’un accident mortel chez Renault. En 1997 mon frère, Maurice, est mort à 61 ans d’une maladie pulmonaire. Il n’avait jamais fumé. C’était certainement déjà l’amiante. En mars 2003, Roger, mon autre frère, est lui aussi décédé d’une maladie due aux fibres d’amiante respirées chez Renault. »
André a quitté l’usine en 2005. Trois ans plus tard, il était à son tour rattrappé par une fibrose pleurale due à l’amiante : « J’ai vu tout de suite sur les images du radiologue que j’avais quelque chose à la plèvre.
J’ai été choqué, submergé par la colère et la rage contre cette direction qui avait décimé ma famille et contre ces médecins du travail qui la cautionnaient...
 »

Des nuages de poussières d’amiante

Michel Bouvet explique qu’autrefois - avant d’arriver dans des sacs en toile de jute - l’amiante arrivait en vrac dans les wagons :
«  Un cariste amenait deux bennes, que des gars remplissaient avec des pelles en vidant le wagon. Cela soulevait des nuages de poussières. Les bennes n’étaient pas fermées.
Quand le cariste revenait les prendre, il disait aux gars de se reculer dans le wagon. Il y avait tellement de poussière qu’il ne les voyait plus... Les roues du chariot automoteur laissaient des traces blanches partout dans l’atelier.
Ceux qui faisaient ce travail avaient le droit de prendre une douche avant la fin de la journée. Ils sont tous morts aujourd’hui.
 »

Le médecin s’intéressait surtout au tabac

Martine se souvient : «  Mon mari avait arrêté de fumer depuis 22 ans.
Dans le dossier médical, le médecin du travail notait le tabac mais pas l’amiante.
 »
Renée dit que « pour eux, il n’y avait pas d’amiante chez Renault ! »
Martine s’indigne : « Comment se fait-il qu’ils aient pu fermer les yeux sur ce fléau ? Les méfaits de l’amiante étaient connus depuis des années. Le médecin du travail est-il au service des travailleurs ou au profit du patronat ? »

André et Michel évoquent le moment où ils ont appris que Raffaeli, le médecin du travail de Valéo, avait été mis en examen : « Nous avons salué la nouvelle dans un tract. La direction a envoyé des « cow boys » pour tenter de nous virer... »

Pourquoi une action en faute inexcusable de l’employeur ?

André voulait aller en justice dès le début, avant même que l’association ne soit créée, « parce qu’on travaille pour gagner sa vie, pas pour mourir ».
Un chemin semé d’embuches : «  Les débuts ont été difficiles.
J’avais déposé une plainte. J’ai été entendu par le SRPJ d’Angers. La plainte a été classée et le dossier envoyé au pôle de santé publique à Paris.
Devant le Tass du Mans et la Cour d’appel d’Angers, nous avons commencé par des échecs. Renault avait le bras long ! Pigeau, l’avocat de la partie adverse a tenté de nous décourager.
Il m’avait dit : « Tu ne gagneras pas un seul procès. C’est le pot de terre contre le pot de fer... » Mais nous avons persévéré.
 »

Au mépris des souffrances des victimes et des familles, l’avocat de la direction a joué la montre :
« La première audience devait avoir lieu le 13 février 2011. Pigeau l’a fait reporter six fois de suite  ! Il voulait nous avoir à l’usure. La juge était exaspérée. Elle a annoncé que, la septième fois, l’audience se tiendrait, quoi qu’il arrive. Le 20 juin 2012, elle a prononcé la condamnation de Renault.
La direction a aussitôt fait appel. Je devais être entendu le 19 septembre 2013. Deux jours avant l’audience, notre avocat, maître Simon a été informé que Renault se désistait et prenait acte de la condamnation du Tass en date du 20 juin 2012.
Ils ont eu peur que la cour d’appel d’Angers n’alourdisse la condamnation...Finalement, c’est le pot de terre qui a gagné ! A ce jour nous avons fait condamner six fois Renault et négocié deux fois avec la SNCF pour faute inexcusable de l’employeur
 ».

Michel dénonce les manoeuvres procédurières de Renault pour échapper à la sanction financière :
«  Quand la maladie professionnelle a été reconnue par la caisse primaire de la Sarthe, Renault a contesté cette décision devant la Commission de Recours Amiable. La CRA lui a donné raison. Nous ne l’avons pas su à l’époque. La caisse n’a pas fait appel.
Résultat : la faute inexcusable a été reconnue mais elle a été déclarée « inopposable » à l’employeur.
 »

« Nous avons d’abord déposé un dossier au Fiva »

Martine et Renée sont arrivées au même résultat qu’André par un chemin différent. C’est après avoir été indemnisées par le Fiva, qu’elles ont demandé au Fonds d’engager une action en faute inexcusable de l’employeur pour que justice soit faite.
André souligne l’importance de cette démarche   : «  Aux victimes et aux familles qui ont fait le choix d’aller au Fiva, nous recommandons systématiquement de demander au Fonds d’engager une action en faute inexcusable et d’envoyer des pièces pour le dossier. Ce n’est pas à la société de payer les préjudices du malheur, c’est l’empoisonneur qui doit être sanctionné. »

Michel souligne l’importance du lien entre l’activité associative et l’activité syndicale : «  Nous avons les comptes rendus des réunions de délégués du personnel et de CHSCT. Il y a dix ans nous avons fait une enquête en demandant à tous les agents de remplir une feuille où ils devaient indiquer les produits auxquels ils ont été exposés. Les feuilles ont été classées par secteur. Cela facilite le recueil des attestations qui seront produites en justice. »

« Nous veillerons à ce que Justice soit faite »

Martine enchaîne : « Je suis très en colère contre les responsables et les irresponsables qui ont su entretenir l’amiante aux dépens de la vie d’autrui ».

Renée conclut par une pensée pour son mari défunt : «  A l’heure où les entreprises, Renault la première, cherchent à gagner toujours plus, celles-ci oublient que nous, les familles d’ouvriers, cherchons à perdre le moins. Par son combat qui est le nôtre aujourd’hui, je pense qu’il peut maintenant reposer en paix, car nous veillerons à ce que Justice soit faite. »


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°44 (janvier 2014)