Ensemble pour débattre du suivi médical des salariés et des retraités

Il est rare que se retrouvent tant d’acteurs sociaux et de professionnels de la santé au travail pour échanger des idées et des expériences   : des syndicalistes CGT et CFDT, des élus CHSCT, des mutualistes, des médecins et des inspecteurs du travail, des juristes, des représentants des Caper et de l’Andeva. C’est le maire de Champ-sur-Drac qui a eu l’idée de ce colloque. Cette journée sur le suivi médical, animée par François Desriaux, directeur de la revue «  Santé-Travail » s’est tenue à l’invitation de Patrick Casillas (Caper Sud Isère), Pierre Rinalduzzi (Caper Nord Isère), Serge Jacquet (Mutuelle de France Plus), Daniel Berthon et Guy Tales (Mutuelles de France Réseau Santé).

Le cadre
réglementaire

Patrick Casillas accueille les présents.
Alain Bobbio rappelle la réglementation sur le suivi médical des actifs, le suivi post-professionnel des retraités (SPP) et le suivi post-consolidation des malades. Le scanner est devenu l’examen de référence, le SPP s’étend à la fonction publique.
Après les interventions de Jacques Nivon, le maire de Champ-sur-Drac et de Daniel Berthon se tiennent trois tables rondes.

Etat des lieux
et retours
d’expériences

Alain Bobbio souligne que le droit au SPP existe depuis 20 ans et qu’une infime partie des retraités concernés en bénéfice aujourd’hui.
Antoine di Ruzza rappelle que les mutuelles ont envoyé 10 000 questionnaires aux retraités de la métallurgie et de la chimie pour le SPP en Rhône Alpes.
M. Xang Le-Quang, ingénieur de la Carsat en Bourgogne-Franche-Comté parle de la traçabilité des expositions professionnelles et de ses difficultés : des employeurs ne font pas la déclaration pourtant obligatoire des procédés de travail dangereux, des médecins ne conservent pas les dossiers médicaux, des caisses régionales (Carsat) n’échangent pas leurs informations entre elles...

Jean-Pierre Iruela (CGT) dit qu’il y a 150 maladies professionnelles dont 50 décès dus à l’amiante sur la plate-forme chimique de Pont de Claix.
Des dérogations ont été données pour des diaphragmes en amiante (utilisés jusqu’en 2005). Le site a été classé amiante. Mais il a fallu la menace d’un contentieux pour obtenir des attestations d’exposition   ! Le médecin du travail d’Arkema est en dépression. 260 personnes ont entamé une action sur le préjudice d’anxiété.
Un ancien salarié de Ferodo-Valéo à Condé-sur-Noireau raconte comment les salariés passaient des radios à la chaine dans un camion de la Croix Rouge. Il dénonce l’attitude du Docteur Raffaëli, le médecin du travail. Aujourd’hui Valeo refuse d’envoyer des attestations aux retraités qui les demandent après leur départ.

Un délégué CFDT retraité d’Arkema Jarrie a reçu une attestation que ses collègues attendent toujours.
Une inspectrice du travail dit que les agents de contrôle sont, eux aussi, exposés et que leur couverture médicale est insuffisante.
Le secrétaire du CHSCT de Lancarex insiste sur la nécessité que soit délivrée une fiche d’exposition par cancérogène au moment du départ en retraite.
Patrick Casillas rappelle qu’il y a eu 35 morts de l’amiante chez Arkema Jarrie, dont 80% habitaient Champ-sur-Drac.

L’exemple de l’Italie

Des liens forts et anciens existent entre l’Afeva, l’association des victimes ilaliennes et les Caper de la région qui sont allés plusieurs fois à Turin pour le procès Eternit. Aujourd’hui des Italiens sont là.
Dario Mirabelli, qui est épidémiologiste, explique que quatre millions de travailleurs italiens sont exposés à l’amiante en place, notamment ceux de l’entretien et de la maintenance. Le suivi médical est encore peu développé en Italie. Il faudrait construire des listes de métiers exposés.
Nicola Pondrano parle de la retraite anticipée et de l’indemnisation. Un « mini-Fiva » a été créé en Italie en 2007 avec un budget dérisoire. Seules les victimes professionnelles et leurs familles sont indemnisées, pas les victimes environnementales.

Bruno Pesce coordonnateur de l’Afeva tire les leçons de 30 années de lutte à Casale Monferrato.

Ensemble pour débattre et agir

Alain Bobbio présente quelques pistes de réflexion sur le SPP nourries par l’expérience de l’Andeva.
Sylvie Topaloff parle d’une action en référé pour avoir l’attestation d’exposition refusée par l’employeur.
Pierre Rinalduzzi dit qu’il y a 100 morts connus du Caper à Roussillon. Il critique la déshumanisation du traitement des dossiers de maladies professionnelles par la caisse, véritable course d’obstacles, et souhaite que les syndicalistes soient plus efficaces dans les commissions de recours amiable et quand ils sont assesseurs au Tass.
Lynda Bensella, secrétaire de l’UD CGT et Lionel Picollet, secrétaire de l’UD CFDT de l’Isère, reviennent sur l’action syndicale et la santé au travail.
Alain Grossetête évoque l’action des médecins du travail.
Une inspectrice du travail en retraite insiste sur la formation des élus CHSCT.
Serge Jacquet, le président de Mutuelle de France Plus, conclut cette réunion en appelant tous les participants à prolonger ces échanges en construisant des convergences dans l’action sur le terrain.


La force des témoignages vécus

Un ouvrier témoigne.
Son père a été emporté par un mésothéliome. Lui-même a été atteint d’un cancer du côlon, puis d’un cancer du poumon. Il dit ses galères médicales et son inquiétude pour l’avenir.

Un syndicaliste enchaîne.
Il témoigne des conditions de travail épouvantables qu’il a connues : les sacs en toile de jute remplis d’amiante en vrac, les calorifuges, l’absence d’aspiration... Il a, lui aussi, un cancer. On lui a enlevé la moitié du poumon gauche.
Il enchaine les chimios et les radios. Il parle des effets secondaires chez ceux qu’il a cotoyés pendant les soins et sur lui-même : une baisse de vision sur l’oeil gauche, deux hermies linguales, qui ont nécessité une rééducation avec un orthophoniste.
Un procès pénal pour juger les responsables, cela relève pour lui de l’évidence : non pas pour lui rendre une bonne santé qu’il sait avoir définitivement perdue mais pour que justice soit faite et pour protéger les générations futures.


UN OUTIL REVOLUTIONAIRE AU SERVICE DE L’EXPERT
Le mètre de couturière !

« J’ai, depuis plusieurs années, des plaques pleurales. Leur taille et leur nombre se sont accrus. Il m’arrive d’avoir des douleurs en faisant certains gestes. Je m’essouffle plus facilement qu’avant. J’ai donc adressé une demande d’aggravation à la caisse primaire de Sécurité sociale qui l’a refusée. Après avoir attentivement regardé les images du scanner, le docteur Lucien Privet a confirmé la réalité de cette aggravation et rédigé un avis auquel il a joint 13 clichés commentés.
J’ai donc fait un recours devant le tribunal du contentieux de l’incapacité.
J’ai été convoqué au TCI. J’y suis allé. Un médecin m’a accompagné dans une petite pièce pour m’examiner. Il m’a prévenu d’emblée :
« Je ne regarderai pas les clichés. Je ne me fie qu’aux EFR.
 »

« Puis il m’a examiné, torse nu. Il a d’abord pris son stéthoscope pour écouter mes poumons. Puis, à ma grande surprise, il a sorti un mètre de couturière et a consciencieusement mesuré le tour de ma poitrine !
J’ai failli pouffer de rire devant cette pantalonnade. Je me suis retenu...
Quand nous sommes revenus dans la salle du TCI, il a annoncé qu’il n’y avait pas lieu de décider une aggravation.
J’ai alors demandé poliment la permission de poser une question au médecin : puisqu’il n’avait pas souhaité regarder les clichés, pouvait-il préciser la méthode utilisée pour évaluer mon incapacité fonctionnelle ?
Il n’a pas aimé.
 »

« Je me suis alors étonné qu’il ait cru devoir utiliser un mètre ruban de couturière. Il s’est alors carrément mis en colère !
Finalement, le TCI a suivi la position de « l’expert ».
Tout cela serait franchement comique, si l’on avait le coeur
à rire. Mais combien d’entre nous seront ainsi « expertisés » par un spécialiste... du refus  !
 »

Pierre

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°44 (janvier 2014)