Une étude d’Antonella Granieri

Les conséquences psychologiques de la catastrophe provoquée par l’amiante d’Eternit dans la ville italienne de Casale Monferrato

A Casale, l’amiante a provoqué une catastrophe humaine et environnementale dont les effets meurtriers frapperont longtemps encore les ouvriers, leurs familles et la population. Elle a déjà fait l’objet d’une abondante littérature traitant des dimensions sociales, politiques, et juridiques de cette tragédie. Dans le livre (Amiante, la double peine), Antonella Granieri, professeure de psychologie clinique à l’Université de Turin, livre une analyse saisissante des effets psychologiques de ce désastre sur les victimes de l’amiante, leur entourage et la population de la ville. Elle s’accompagne d’une réflexion sur les processus par lesquels ils peuvent trouver les moyens de « remonter la pente ».

Un stress post-traumatique

Antonella Granieri décrit un «  syndrome de stress post-traumatique  » dans une communauté «  ayant été obligée - et étant encore obligée - de se confronter tous les jours à un risque de décès.  »

Un questionnaire et ses résultats

Pour mener son étude elle a utilisé un questionnaire très détaillé (338 items !) adressé à trois catégories de personnes  : des victimes professionnelles, des familles de victimes et des personnes non malades résidant dans la même zone géographique.
Il décrit des troubles déjà repérés chez les victimes d’autres catastrophes : dépression, anxiété, idées fixes, troubles du sommeil, sentiment d’être incompris...
Il confirme la réalité d’un «  préjudice d’anxiété  », reconnu par les juges de la Cour d’appel de Turin, chez des personnes non malades, mais qui redoutent de le devenir.

L’apport des groupes de parole

L’auteure évoque aussi la question du soutien psychologique aux victimes.
Elle relate l’expérience de groupes de parole réunissant plusieurs familles à Casale, qui ont permis un « dialogue à plusieurs voix  » à partir de « réflexions librement exprimées par les participants pendant la séance. »
Ces groupes ont rendu possible «  l’expression des histoires des familles des victimes qui, au départ, révèlent souvent une difficulté à montrer les sentiments et à décrire leurs émotions » et tendent à s’installer dans le déni ou le fatalisme.

Retrouver le goût de vivre

L’aspect le plus intéressant de ce livre est son analyse de la résilience qui permet à des victimes traumatisées de retrouver le goût de vivre. : « Comment donner un sens à l’absurdité de la tragédie  ?  » dans cette ville où «  il s’est passé quelque chose qui n’aurait jamais dû arriver. »
La réponse d’Antonella Granieri est porteuse d’espoir   : on peut donner du sens à un événement traumatisant, si l’on en comprend les causes.
On peut passer de réactions immédiates (« la colère, le cynisme, la douleur, la panique, l’impuissance, le désespoir ») à une « résilience active  » par une reconstruction individuelle prenant place dans un combat collectif.

Une dimension individuelle et collective

Prolongeant les travaux de Boris Cyrulnik et de la psychanaliste argentine Rozenfeld, Antonella Granieri voit la résilience comme un processus psychique «  impliquant à la fois l’individu et le groupe », qui permet non pas de faire disparaître la souffrance, mais de lui donner un sens.
Elle écrit   : «  La création à Casale de groupes des membres des familles et des victimes de l’amiante, la naissance d’associations et d’actions locales contre l’amiante, tout autant que la demande de justice pour les victimes d’Eternit qui a débouché sur le procès de Turin, représentent un exemple de résilience dans un environnement pathogène qui tue.  »
La participation à une action collective pour la Justice et la demande d’une aide psychologique adressée à des professionnels peuvent ainsi converger pour aider des victimes ou des familles traumatisées à « remonter la pente ».


La traduction de cette étude en langue française, parue aux éditions Sudarènes, s’accompagne d’une contribution du procureur Guariniello, d’une interview de l’avocat Sergio Bonetto et d’une préface d’Annie Thébaud-Mony.


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°44 (janvier 2014)