La science vue par les marchands d’amiante

Dans les années 60, les marchands d’amiante, et en premier lieu l’industrie minière du Québec devaient faire face à deux problèmes :
1) Malgré les efforts des industriels pour cacher les effets cancérogènes, ce secret de polichinelle apparaissait au grand jour dans des publications scientifiques  : aucun responsable des mines, aucun spécialiste d’épidémiologie et de santé au travail ne pouvait ignorer que l’amiante causait le cancer du poumon (la première publication majeure de R. Doll était parue en 1955) et le mésothéliome (la première publication majeure de Wagner en 1960).
2) Aux Etats-Unis et au Canada, les demandes d’indemnisation menaçaient de se multiplier et de briser le commerce lucratif de l’amiante.
Face à cette situation, les industriels ont choisi non pas d’arrêter l’amiante ou de financer la prévention, mais de financer une puissante campagne en faveur de l’amiante. En 1965 l’Association des industriels de l’amiante québécois recommandait de financer une étude proposée par un certain Dr. McDonald.

 


CANADA
L’université McGill (Montréal) et le Dr. Corbett McDonald,
La longue histoire d’une fraude aux conséquences tragiques

Un million de dollars pour l’Institut du Travail

En 1966 fut créé au sein de la prestigieuse université de McGill, Montréal, l’Institut de Santé au Travail et dans l’Environnement (Institute of Occupational Environmental Health, IOEH), institut présenté comme indépendant mais en réalité entièrement financé et contrôlé … par les compagnies vendant de l’amiante !
Durant les années suivantes, l’Institut IOEH a reçu environ un million de dollars des industriels de l’amiante et l’épidémiologiste Corbett McDonald la majeure partie de cet argent. Il a pu ainsi publier une série d’article d’épidémiologie concernant la plus grande cohorte de travailleurs de l’amiante, environ 11 000 mineurs du Québec et devenir l’un des auteurs les plus cités.

L’amiante chrysotile était «  inoffensif »

Est-il vraiment surprenant dès lors que les conclusions des nombreuses études de Corbett McDonald soient que l’amiante chrysotile est «  essentiellement inoffensif  », au moins aux «  doses actuelles  » et que ce sont les autres amiantes (amphiboles) qui sont responsables de la plupart des maladies ? Cela tombait bien parce que le Québec, le Brésil, l’URSS ne produisent que du chrysotile et parmi les rares producteurs d’amphiboles, l’Afrique du Sud était au ban des nations pour cause d’apartheid et l’Australie venait d’arrêter l’extraction de crocidolite (mine de Wittenoom).

Défendre l’amiante : une affaire d’Etat

Ce qui est plus étonnant est que l’«  hypothèse amphibole  » ait pu s’installer durablement dans la littérature scientifique. Une des raisons est que le caractère mercenaire et corrompu des études McDonald est longtemps resté ignoré ; lui-même n’a que trèst tardivement admis ses liens avec l’industrie de l’amiante.
Il faut dire aussi que, après la mise en faillite de Johns-Manville (pour échapper à des paiements d’indemnisations massives) et la nationalisation des mines du Québec, les gouvernement du Canada et du Québec ont pris le relai. La défense de l’amiante est devenue une affaire d’Etat, aboutissant en 1984 à la création de l’institut de l’Amiante (rebaptisé en 2003 Institut du Chrysotile). McDonald est alors devenu une sorte de «  scientifique d’Etat  ».

Une longue liste de méfaits

Parmi les méfaits de Corbett McDonald on peut citer :
- l’intervention en 1972, comme expert « indépendant », devant l’organisme de régulation en santé au travail (OSHA) aux Etats-Unis, où il a plaidé pour une législation plus souple en matière d’amiante ;
- l’intervention secrète en 1988 (mais grassement monnayée) en faveur de l’industrie du tabac aux Etats-Unis, lettres avec en-tête de l’université «  McGill ».
- une nouvelle intervention, comme expert « indépendant » contre la proposition de l’Agence pour la Protection de l’Environnement (EPA) d’interdire en 1986 l’amiante aux Etats-Unis  ;
- une intervention en 1998 comme consultant du gouvernement canadien auprès de l’Organisation mondiale du commerce pour tenter d’arrêter l’interdiction de l’amiante en France et ensuite dans la Communauté Européenne  ;
- une intervention au Brésil comme «  sommité mondiale de l’épidémiologie de l’amiante  » pour confirmer l’innocuité de l’amiante chrysotile  ;

McDonald a eu plusieurs contact avec le Comité Permanent Amiante mais probablement parce que le CPA n’était pas prêt à débourser suffisamment d’argent, ceux-ci n’ont, semble-t-il, abouti à rien de concret.
Les autorités de l’université de McGill sont extrêmement réticentes à admettre le caractère frauduleux des publications et déclarations de McDonald, elles ont néanmoins accepté le principe d’une conférence-débat sur le sujet qui a eu lieu le premier octobre 2013 avec notamment des présentations de Kathleen Ruff et David Egilman.
Aujourd’hui, plus aucun épidémiologiste sérieux ne soutient réellement McDonald, mais ses publications continuent à faire des ravages et bien sûr à être exploitées au Brésil, en Russie, pour vendre de l’amiante encore et toujours.

 


STEPHAN SHMIDHEINY
restera-t-il docteur honoris causa de l’Université de Yale (USA) ?

Stephan Schmidheihy, à la fois PDG et propriétaire principal d’Eternit, a été condamné par la justice italienne à 16 ans de prison en première instance, puis à 18 ans de prison en appel ainsi qu’à des dizaines de millions d’euros d’amendes et d’indemnisations à verser aux victimes de l’amiante et à leurs familles ainsi qu’à des institutions locales. Il ne s’est pas livré à la justice et, à ce jour, n’a pas versé un centime aux plaignants.
Mais, sur son site Internet, il cultive toujours une image de philanthrope, défenseur du développement durable. L’Université de Yale, l’une des plus prestigieuses des États-Unis, lui avait décerné il y a 17 ans le titre de docteur honoris causa pour «  sa contribution au développement durable et à l’écologie   ».
Cette université privée a reçu de généreux dons du milliardaire.Aujourd’hui des voix s’élèvent aux USA et dans de nombreux pays pour demander à l’Université de révoquer cette récompense imméritée ressentie comme une véritable insulte à la mémoire des victimes de l’amiante.
Fera-t-elle encore longtemps la sourde oreille ?

 


Les liaisons dangereuses de M. Boffetta

Toutes les leçons des fraudes issues de la « science non-indépendante » n’ont pas été tirées, même en France et même à propos de l’amiante.
Les liaisons dangereuses d’un épidémiologiste italien avec l’industrie montrées du doigt dans Le Monde (supplément Science et Médecine, 18 décembre 2013).
Epidémiologiste réputé, ayant longtemps travaillé au Centre International de Recherche sur le Cancer CIRC (IARC en anglais), Paolo Boffetta tente de se faire nommer à la tête du Centre de Recherche en épidémiologie et Santé des Populations (CESP, lié à l’INSERM et l’université d’Orsay).
Deux exemples d’activités suspectes suffisent à nos yeux pour rejeter sa nomination.
Un curieux cabinet de consultants a été créé à côté du CIRC, à Lyon : le International Prevention Research Institute (IPRI) qui produit et vend aux industriels des expertises ou articles « scientifiques » sur les questions de santé et de risques sanitaires.
Boffetta a déclaré au CESP qu’il n’a plus de liens avec ce cabinet, mais il est en fait un des fondateurs et actionnaires de ce douteux IPRI.
En 2012, Boffetta et La Vecchia publient « par voie express » un article dans le European Journal of Cancer Prevention. L’article met trois jours pour être accepté. Pourquoi si vite ?

En fait Paolo Boffetta était employé comme consultant expert par Montefibre, dans un procès entamé par des victimes de l’amiante contre leur employeur et un des arguments que la défense comptait utiliser est que, parmi les personnes exposées longtemps à l’amiante, seules comptent les expositions les plus anciennes. Très obligeamment, l’article - par ailleurs médiocre - conclut « le risque de mésothéliome, pour les travailleurs exposés dans un passé lointain, n’est pas modifié de façon appréciable par les expositions ultérieures et arrêter l’exposition ne modifie pas matériellement le risque ultérieur. ».

À la fin de l’article, Boffetta et La Vecchia indiquent : « aucun conflit d’intérêt ». Pour les réclamations on peut écrire à l’un des éditeurs de la revue : Carlo La Vecchia.

De telles activités non scientifiques sont à l’évidence incompatibles avec la possible nomination du Dr Boffetta à la tête du plus important centre d’épidémiologie de France !


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°44 (janvier 2014)