Monsieur Berkane aurait pu vivre des années heureuses avec sa famille. Son travail chez Sanofi l’a tué. Comment dire le chagrin et la rage de ses proches face à ce cancer évitable ?

Soraya a engagé une action en faute inexcusable de l’employeur.
La faute a été reconnue, mais Sanofi n’a rien payé.

Elle s’est jurée de se battre jusqu’au bout contre cette injustice.
Avec Serge, un ancien de chez Sanofi, ils racontent l’action menée avec le soutien de l’Addeva 93.

« J’ai perdu mon père d’un cancer de l’amiante. Il avait 63 ans.
Sanofi a été condamné… à ne rien payer ! »

Pourquoi as-tu décidé d’engager ce combat ?

Soraya : J’ai perdu mon père âgé de 63 ans en 2010, à la suite d’un cancer broncho-pulmonaire qui l’a emporté en 6 mois.
C’était une maladie professionnelle liée à l’amiante qu’il avait respiré chez Sanofi-Aventis à Vitry, dans le Val-de-Marne.

C’est le 80ème cas de maladie liée à l’amiante recensé sur ce site. 30 personnes sont décédées.

Nous avons engagé une action en justice contre Sanofi. Le 15 mars 2012, le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Créteil a reconnu la faute inexcusable de l’employeur mais Sanofi a plaidé « l’inopposabilité » de la décision, arguant d’une faille dans le dossier (une erreur d’adresse dans un envoi de la caisse primaire de Sécurité Sociale) pour se soustraire à ses obligations et fuir ses responsabilités. Sanofi a même osé faire appel, alors qu’il ne déboursera pas un seul euro ! C’est honteux ! La prochaine audience aura lieu… le 27 février 2014.

J’ai voulu dénoncer cette injustice et la faire cesser.

Qui paye lorsque la décision est « inopposable » à l’employeur condamné ?

Serge : C’est la Branche Accidents du Travail - Maladies professionnelles (AT-MP), qui est alimentée par les cotisations patronales.
Autrement dit, ce n’est pas l’employeur fautif, c’est la collectivité des employeurs, petits ou grands, qui en supporte le charge. L’indemnisation est mutualisée ; des PME qui n’ont jamais vu d’amiante mettront la main à la poche, mais pour un grand groupe comme Sanofi, la condamnation sera indolore.

Comment avez-vous réussi à faire percer publiquement ce scandale ?

Soraya : Avec Serge et le soutien de l’Addeva 93, nous avons alerté la presse en commençant par Gazelle, un petit journal pour les femmes immigrées de la deuxième génération.

Une brèche s’est ouverte. Des journalistes se sont émus : l’AFP, Le Parisien, Marianne, Le Canard Enchaîné, Le Point, RMC, l’Humanité, l’Express, France 3, France 24... se sont saisis de l’affaire.

J’ai aussi demandé aux politiques s’ils trouvaient normal que la Sécurité Sociale paye au lieu du laboratoire reconnu responsable. J’ai reçu des réponses de plusieurs partis, de plusieurs candidats à la présidence de la République, de la garde des Sceaux, du Ministère des Affaires sociale et de la Santé...

Serge : nous avons aussi alerté le directeur de la caisse primaire du Val-de- Marne. En additionnant les sommes octroyées par le tribunal aux victimes et aux familles, nous avons chiffré le coût pour la branche AT-MP : plus de 800 000 euros en 3 ans !

Quels ont été les résultats de votre action ?

Soraya : J’ai reçu une réponse du ministère de la Justice. Il me confirme que la reconnaissance de l’inopposabilité par le tribunal « interdit à la caisse de récupérer » auprès de l’employeur « les compléments de rente et les indemnités versées par elle au salarié malade ou à ses ayants droit, après la reconnaissance de la faute inexcusable ». Il estime que cela aboutit à « des conséquences inéquitables puisque l’employeur responsable d’une faute inexcusable n’en assume pas les conséquences financières ».

La lettre se terminait par le texte du nouvel article que le gouvernement souhaitait ajouter au Code de la Sécurité sociale pour empêcher ces abus. La loi a maintenant été votée.

Serge : Nous avons remporté une belle victoire en obtenant cet article qui devrait mette fin à ces pratiques scandaleuses.

Mais nous devons rester vigilants. Les patrons peuvent trouver d’autres moyens de ne pas payer. Certains pratiquent déjà la contestation systématique dès le stade de la déclaration pour tout accident et toute maladie imputable au travail.

« La loi de financement de la Sécurité sociale devrait mettre fin à cette pratique abusive. »


Trucs et astuces de l’employeur

 

Sanofi-Aventis a été condamné sept fois pour faute inexcusable de l’employeur. Sept fois de suite, il s’est débrouillé pour échapper à toute sanction financière.

Parmi les divers motifs d’inopposabilité invoqués :

- la lettre de la CPAM avait été adressée au 9, quai Jusles Guesde et non au 13, quai Jules Guesde
(c’est le même site, il y a deux entrées !)

- ou bien : La lettre de la Caisse invitant l’employeur et le salarié à venir consulter le dossier avant sa clôture est arrivée... avec un jour de retard.

- ou bien encore : Le destinataire était Sanofi Recherche et Développement et non Sanofi Chimie (les deux entités sont imbriquées. Leur séparation n’est qu’administrative)...


UN HOLD UP ANNUEL DE 20 MILLIONS D’EUROS

 

Dans 40% des cas, l’employeur dont la faute inexcusable a été reconnue obtient que le jugement lui soit « inopposable ».

320 fois condamné, Eternit n’a rien payé

 

Chaque année, de 800 à 1000 fautes inexcusables de l’employeur sont reconnues par des TASS pour des maladies professionnelles liées à l’amiante.

Dans 40% des cas l’employeur est condamné, mais ne paye rien. 20 millions d’euros sont ainsi imputés à la Branche AT-MP et non à l’employeur fautif (chiffre officiel sans doute sous-estimé).

L’ avocat soulève un vice de forme de la caisse primaire et plaide le « non respect du caractère contradictoire de l’instruction du dossier » pour obtenir que la décision ne lui soit pas opposable.

Dans ce domaine, Eternit est champion toutes catégories.

« Depuis 1999, explique Jean-François Borde, président du Caper Bourgogne, Eternit à Vitry-en-Charollais a été 320 fois condamné. Le montant total des indemnisations qu’il aurait dû payer se monte à 14 millions d’euros pour l’établissement de Vitry-en-Charollais et à 33 millions d’euros pour l’établissement de Thiant dans le Nord.

Vers 2003-2004, il a même réussi à se faire rembourser une grande partie des cotisations que l’entreprise avait versées à la Sécurité sociale : 1.538.000 euros remboursés en 2003, 130.000 euros en 2004 et 235.000 euros en 2005… »


 

CE QUE DIT L’ARTICLE 66 DE LA LOI

L’exposé des motifs

 

Après la reconnaissance d’une faute inexcusable, quand la caisse primaire se retourne vers l’employeur pour récupérer les indemnités qu’elle a versée aux assurés, « dans plus de la moitié des cas (56%), ces sommes ne peuvent être effectivement récupérées ».

Une fois sur quatre c’est en raison de la disparition ou de l’insolvabilité des employeurs.

Mais, dans tous les autres cas, « les sommes non recouvrées (près de 20 millions d’euros) sont afférentes aux sinistres dans lesquels l’employeur se prévaut de l’inopposabilité »

Le texte :

Un nouvel article (Art. L. 452-3-1) a été ajouté au Code de la Sécurité sociale :

« Quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des dispositions des articles L. 452-1 à L. 452-3. »


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N°41 (janvier 2013)