Dessaisie du dossier Éternit en décembre, Madame Bertella-Geoffroy, juge d’instruction du pôle de Santé publique, persévère : en janvier, elle met en examen quatre membres du Comité Permanent Amiante : Jean-Pierre Hulot, PDG de la Société de communications économiques et sociales (CES) Dominique Moyen, directeur de l’Institut national de recherche et de sécurité au travail (INRS), Daniel Bouige directeur de l’Association française de l’amiante et directeur général de l’Association internationale de l’amiante, Arnaud Peirani représentant au CPA du ministère de l’Industrie et expert à la Commission européenne. En avril, c’est Jean-Luc Pasquier, ancien haut fonctionnaire du ministère du Travail, adjoint de Martine Aubry à la Direction des relations du travail de 1984 à 1987, qui est mis en examen pour homicides, blessures involontaires et abstentions délictueuses.

Une structure de lobbying créée et financée par les industriels de l’amiante

Le Comité permanent amiante fut officiellement créé en 1982 par Dominique Moyen, directeur de l’INRS. Son but affiché : « l’amélioration des conditions de travail et spécifiquement des conditions d’empoussièrement ».
En fait sa mission principale fut de promouvoir « l’usage contrôlé » de l’amiante, et de retarder l’interdiction annoncée de ce terrible cancérogène.

Une étrange structure « informelle »

Les vrais artisans de sa création - et ses financeurs - furent l’AFA, l’association des industriels de l’amiante et CES, une société de conseil aux industriels.
Le CPA était une structure informelle, sans statuts, sans règlement intérieur ni siège social.

Son secrétariat fut assuré par Marcel Valtat, créateur de la société CES, qui devait devenir membre de l’Association française des Conseils en lobbying. C’est dans ses propres locaux, 10 avenue de Messine à Paris, que fut logé le Comité permanent amiante !

Le financement du CPA fut assuré par l’AFA qui versa plus de 600 000 francs pour sa création et son fonctionnement. Elle finança tous les déplacements (700 000 francs pour la seule année 1994).

Les participants et les cautions du Comité

Diverses entreprises telles que Ferrodo, Valeo, Éternit, EDF, la SNCF, les chantiers navals, les avionneurs, les fabricants de véhicules automobiles participaient au comité. Les industriels de l’amiante avaient réussi le tour de force de bénéficier d’une triple caution :

- une caution scientifique par Etienne Fournier, de l’Académie de médecine, Jean Bignon et son successeur le Pr Patrick Brochard, qui devait dire plus tard « en tant que médecins, nous nous sommes faits piéger »

- une caution officielle : par des hauts fonctionnaires de cinq ministères (dont le Travail, la Santé, l’Environnement) qui apportèrent sans sourcilier la bénédiction de l’État, mais aussi par des représentants d’organismes publics comme l’Institut national de la consommation (INC) ou la Sécurité sociale

- une caution syndicale par des représentants de la CFDT, de la CGT (FO ne siègera pas), qui défendront longtemps l’usage « contrôlé » de l’amiante au nom de la préservation de l’emploi.

12 années de lutte contre l’interdiction

Pendant douze ans cette structure « informelle » aux mains des industriels va faire un gigantesque travail de désinformation et de pressions sur les politiques publiques non seulement en France mais aussi en Europe et dans le monde entier. Ses brochures portaient des noms évocateurs tels que « L’amiante et la santé » ou «  Vivre avec l’amiante »…

En 1986 le CPA publie un rapport s’opposant vigoureusement à la proposition de l’Environmental Protection Agency d’interdire l’amiante.
En 1990, grâce à ses interventions auprès des instances européennes il réussit à bloquer une directive proposant l’interdiction de l’amiante.
En 1991, quand la Communauté européenne, poussée par l’Allemagne, évoque à nouveau l’interdiction, le CPA intervient pour l’empêcher.

Une fin peu glorieuse

Avec un savoir faire magistral, les industriels utilisèrent le CPA pour prolonger l’utilisation d’un matériau meurtrier déjà interdit dans plusieurs pays. Mais ce combat douteux eut finalement pour effet de jeter un phénoménal discrédit sur ce comité, qui tenait encore en 1994, une conférence de presse sous le titre « Faut-il avoir peur de l’amiante » ?

En 1995, les représentants de l’État puis ceux de la CGT cessèrent de collaborer avec le CPA. En 1996 l’amiante fut interdit à dater du premier janvier 1997.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°39 (avril 2012)