Jean-Paul Willigsecker est mort à 49 ans, emporté par la silicose. Le Tass de la Moselle a reconnu la faute inexcusable de l’employeur.
C’est la première fois qu’un tel jugement est rendu pour la silicose d’un mineur de fond.

Nous avons demandé à Roger Lambert, du syndicat des mineurs CFDT de Lorraine, de commenter cette décision de justice historique, qui ouvre une brèche pour l’avenir.

« Les Houillères connaissaient parfaitement le risque et n’ont pas pris les mesures de protection nécessaires »

Des milliers d’actions judiciaires ont été gagnées par des victimes de l’amiante depuis 15 ans. C’est la première fois qu’une faute inexcusable de l’employeur est reconnue pour une victime du charbon.
Pourquoi un tel retard ?

Roger Lambert : La silicose, maladie emblématique de la mine, est la plus meurtrière de l’histoire industrielle. Claude Allègre avait dit que « Le charbon a fait plus de morts que le nucléaire, Hiroshima et Nagasaki compris ». Pour une fois, il ne s’était pas trompé. C’est une catastrophe sanitaire que les dirigeants des compagnies minières puis des Charbonnages de France (CdF) ont toujours voulu cacher et minimiser.

Combien de mineurs sont morts d’une maladie respiratoire ?

R.L. : Pour les seules maladies du tableau 25 (silicose et pneumoconiose du houilleur) CdF admet 40 000 décès entre 1945 et 1987. Ce chiffre est très inférieur à la réalité. Le cancer broncho-pulmonaire en lien avec la silicose n’a été reconnu que lorsque toutes les mines ont été pratiquement fermées ! On ne dispose d’aucune estimation officielle fiable. En recoupant différents chiffres (nombre de décès reconnus imputables, nombre de cancers touchant les mineurs, nombre de décès dus à la bronchopneumopathie chronique obstructive) ainsi que les travaux de certains historiens, les mineurs C.F.D.T. estiment que de 1945 à nos jours 100 000 mineurs sont morts de maladies respiratoires aux Charbonnages de France, entreprise nationalisée.

Difficile d’imaginer qu’il ait fallu attendre 2012 pour établir des responsabilités dans une catastrophe sanitaire d’une telle ampleur.

C’est pourtant le cas. Face à ce que le docteur Amoudru, ancien médecin chef des Charbonnages de France, a appelé un génocide, la responsabilité des Houillères n’avait jamais été reconnue ! D’autres employeurs avaient déjà été condamnés pour faute inexcusable dans des dossiers de silicose mais jamais les Charbonnages.

Ces dernières années, le Tribunal des affaires de la Sécurité sociale (Tass) de la Moselle avait rendu des décisions favorables aux Houillères, généralement confirmées par la Cour d’appel de Metz.

Comment la faute inexcusable des Houillères a-t-elle été démontrée ?

Il y avait un véritable contournement organisé de la réglementation sur la sécurité. Les fraudes étaient fréquentes et les dirigeants des HBL en étaient parfaitement informés. Ils ont sciemment imposé des normes d’empoussiérage qui ne protégeaient pas le personnel exposé. De très nombreux mineurs ont été les victimes de ces comportements frauduleux. C’est ce qui a motivé la condamnation de CdF.

Cette condamnation ne concerne à ce jour qu’un seul dossier.

Le jugement rendu par le Tass de Moselle le 30 mars 2012 ne concerne effectivement que le cas de Monsieur Jean-Paul Willigsecker, emporté par la silicose à 49 ans.

Avec Maître Emmanuelle Demazière du Cabinet Michel Ledoux, nous avons pu porter à la connaissance du tribunal des éléments qui ont démontré la responsabilité des dirigeants des Houillères dans la survenue de sa maladie. Ils connaissaient parfaitement le risque et n’ont pas pris des mesures de protection qui étaient possibles et nécessaires.

Le tribunal a accordé 217 000 euros pour les préjudices de la victime, 60 000 euros pour la veuve, 3000 euros pour chacun des enfants. La rente de conjoint survivant a été portée à 100% du salaire de référence du défunt.

Cet arrêt ne rend pas compte du drame collectif de la silicose dans les mines, mais il est très important car il ouvre une brèche.
Le drame vécu au quotidien par des centaines de milliers de mineurs et leurs familles depuis l’ouverture de la première mine de charbon a enfin des responsables !

Cette décision de justice ouvre la voie à d’autres condamnations des Houillères.

Des milliers d’autres mineurs en Lorraine et dans les autres bassins miniers sont directement concernés par cette décision.
D’ores et déjà, les mineurs C.F.D.T. soutiennent la demande de faute inexcusable silicose déposée par d’autres anciens mineurs des H.B.L.

On peut s’attendre à une résistance farouche des Houillères.

Évidemment, les mineurs ont gagné une bataille mais nous savons que les anciens dirigeants des Charbonnages sont coriaces. Nous nous attendons à ce qu’ils interjettent appel.

Es-tu confiant dans l’avenir ?

Oui. Nous y avons cru dur comme fer. Comme les mineurs le disaient : « Aussi sûr que le soleil se lève chaque matin, nous ferons condamner Charbonnages de France pour la faute inexcusable silicose ».

C’est par ces mots que j’avais conclu une interview publiés par le Bulletin de l’Andeva il y a deux ans.

C’est maintenant chose faite. Le combat continue.

« Le drame vécu par des centaines de milliers de mineurs et leurs familles a enfin des responsables »

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°39 (mai 2012)