Pourquoi des centres experts sur le mésothéliome ?

 

Où en sont les recherches sur cette maladie ?

En novembre 2011, une délégation de l’Andeva s’est rendue à Lille pour rencontrer le professeur Arnaud Scherpereel, qui lui a présenté un projet de création d’un réseau de centres experts sur le mésothéliome, qui avait été soumis à l’Institut national du Cancer. Nous ne savions pas alors si le financement de ce projet serait accepté. C’est maintenant chose faite. Arnaud Scherpereel nous le présente et fait le point sur les recherches en cours sur le mésothéliome. Il répond aux questions d’Eveline Lelieur et d’Alain Bobbio.

Alain BOBBIO : Vous êtes à l’initiative d’un grand projet sur le mésothéliome.

Arnaud SCHERPEREEL : Nous avons répondu à un appel d’offre lancé en 2011 par l’INCa sur la création de centres experts pour les cancers rares.

Il y a environ 900 cas de mésothéliomes par an. C’est un cancer rare. Nous créons un réseau de centres experts cliniciens de cette maladie qui aura pour nom Mésoclin. Le Centre expert national sera basé au CHU de Lille. Mesoclin sera le pendant clinique de Mesopath, le groupe d’experts anatomopathologistes basé à Caen.

La mission première du réseau Mesoclin est d’assurer la meilleure prise en charge possible des patients, quel que soit leur localisation géographique en France. Il y aura dans chaque région des équipes dédiées. Elles pourront émettre des avis dans le cadre de réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) et mettre en oeuvre des traitements en lien avec des équipes locales. Les centres experts proposeront aux patients des traitements standards et une participation à des essais cliniques sur des traitements plus récents. Ils pourront aussi intervenir en amont, à l’étape du diagnostic, qui est parfois très difficile pour le mésothéliome.

La deuxième mission de ces centres sera d’informer les médecins mais aussi les patients et leur famille : en leur donnant des connaissances de base sur ce cancer, en les tenant informés des nouveautés dans la prise en charge et en leur donnant toutes les informations utiles pour l’accompagnement psychologique et social pour la réparation de leurs préjudices, en interaction avec les associations.

Leur troisième mission sera d’assurer une formation des professionnels sur les nouveaux traitements de ces cancers et sur leur diagnostic, avec l’organisation de réunions et de congrès où seront proposées de plus des rencontres entre les patients, leurs associations et les médecins prenant en charge ces cancers.

La quatrième mission est le recueil épidémiologique des cancers en lien avec le Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) et l’Institut national de veille sanitaire (InVs). Nous aiderons ces organismes à évaluer de façon plus précise l’incidence du mésothéliome, en recueillant les données des patients et en faisant remonter ces informations à l’INCa.

Mesoclin aura aussi une mission de recherche. Toutes les données cliniques, biologiques ou scannographiques recueillies par les réseaux experts auprès des patients serviront à créer une grande base de données clinico-biologiques. Et à terme, cette base de données pourrait fusionner avec les banques de données de tissus réalisées par Mesopath. Avec cette méso-banque nous aurons un outil exceptionnel au niveau mondial, pour faire avancer la recherche sur le mésothéliome. Il sera accessible à toutes les équipes de recherche qui souhaiteront travailler sur ce sujet.

Eveline LELIEUR : Avez-vous déjà commencé ?

A.S. : L’INCa a donné son feu vert en janvier 2012. Les outils ne sont pas encore en place mais nous avançons : nous avons pris contact avec l’InVs pour le recueil des données et la déclaration obligatoire. Nous avons travaillé avec Mésopath sur le projet de méso-banque, et sur la mise au point de réunions de concertation pluridisciplinaires qui incluront dans chaque région des médecins anatomopathologistes. Nous espérons ouvrir le site Internet de Mésoclin avant les vacances. Il sera hébergé par le CHU de Lille.

Le logiciel qui permet aux médecins de soumettre les cas de leurs patients est la clé de voûte du système. Il devrait être opérationnel en septembre.

A.B. : Ce projet a-t-il une dimension internationale ?

A.S. : Il faut d’abord mettre le système bien au point dans le cadre de l’appel d’offre de l’INCa au niveau national. Dans un second temps, la méso-banque devrait nous permettre de travailler au niveau européen avec nos collègues belges, allemands, ou italiens. De leur côté, nos collègues australiens mettent, eux aussi, en place une banque de données.

On pourra donc comparer des données issues de pays très différents comme la France, l’Australie ou les États-Unis pour faire avancer la connaissance du mésothéliome au niveau international.

E.L. : Comment voyez-vous le rôle des associations ?

Elles pourront faire connaître ce projet aux patients : en y participant ils pourront non seulement aider à faire progresser les connaissances sur cette maladie dans l’intérêt de la communauté des patients, mais aussi y trouver un intérêt personnel car leur cas sera étudié par les meilleurs experts. Les associations pourront les informer sur la prise en charge médicale et sociale de leur maladie.

De leur côté, les médecins seront mieux à même d’informer leurs patients et leurs proches sur leurs droits et sur les contacts à prendre avec les associations. Ils pourront avoir un retour des patients sur la façon dont ils voient la prise en charge du mésothéliome et comment ils souhaitent l’améliorer tant sur le plan médical que sur le plan humain. Les associations ont donc un rôle important à jouer.

A.B. : Les victimes de l’amiante ont souvent le sentiment que la recherche progresse trop lentement.

A.S. : Les progrès peuvent sembler lents, mais il faut savoir que - pour le mésothéliome comme pour tous les cancers rares - la recherche se heurte à des problèmes de financement et de visibilité sociale. J’espère que le réseau Mésoclin améliorera la diffusion de l’information.
En termes de traitement il y a deux pistes intéressantes.

La première est celle du traitement multimodal, associant une chirurgie la plus radicale possible du cancer à des traitements généraux de type chimiothérapie ou à d’autres traitements en cours d’évaluation. Nous avons soumis cette année un protocole pour un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) très prometteur utilisant la photothérapie dynamique.

Cette technique est déjà utilisée dans le tube digestif ou sur la peau. Elle peut être appliquée à la plèvre. Je suis allé récemment à Philadelphie pour voir traiter un patient. Nous souhaitons améliorer cette technique et la mettre en œuvre en France (voir encadré ci-dessus).

Ce programme pourrait débuter dès 2012 à Lille, puis être progressivement étendu à d’autres hôpitaux. Mais nous ne savons pas
encore si nous aurons le financement.

E.L. : Y a-t-il d’autres pistes de recherche ?

A.S. : Pour les patients qui ne peuvent être opérés, il y a aujourd’hui plusieurs pistes de traitements médicamenteux. Ils ciblent les mécanismes de résistance du cancer à la chimiothérapie.

Chez les cellules normales existe un mécanisme de mort programmée qu’on nomme l’apoptose. Les cellules cancéreuses ont perdu leur propriété d’apoptose. On essaie de mettre au point des traitements qui leur restituent cette propriété afin qu’elles meurent et qui augmentent leur sensibilité à la chimiothérapie. Des essais ont été entrepris à Lille, Toulouse, Villejuif et Caen.

Nous avons aussi la chance d’avoir à Nantes une très bonne équipe de chercheurs qui travaille sur la thérapie cellulaire et sur l’immunothérapie.

E.L. : Quel est le contenu de leurs recherches ?

A.S. : Ils explorent deux stratégies intéressantes.
La première a pour but d’éduquer les cellules de l’immunité anti-tumorale (lymphocytes, cellules dendritiques) : on prélève ces cellules, on les expose aux antigènes du cancer, puis on les réinjecte chez le sujet pour induire une réponse immunitaire contre le cancer. Un essai préliminaire est en cours en Hollande. On espère que leurs travaux vont ouvrir la voie à un essai clinique en France. Le problème est toujours d’obtenir un financement.

La deuxième stratégie consiste à détruire les cellules cancéreuses du mésothéliome en les soumettant aux toxines d’autres affections capables de les attaquer de façon préférentielle. La meilleure piste est le virus de la rougeole.

Les chercheurs nantais sont en pointe au niveau mondial. Et pourtant, c’est aux États Unis que l’essai a été initié. Il n’a pas pu trouver de financement en France alors que ce sont des chercheurs français qui avaient mis au point cette technique au départ.

Il y a donc des pistes intéressantes pour le traitement du mésothéliome, mais le nombre d’essais réalisés en France est très inférieur à la demande. Il est dommage de se priver de nouvelles techniques pour des raisons purement financières.

Là encore, la communication entre associations et chercheurs devrait aider à surmonter cet obstacle.

A.B. : Certains médecins ont prôné une chirurgie lourde qui est aujourd’hui contestée.

A.S. : La pleuro-pneumonectomie élargie (PPE) consistait à enlever le poumon, le diaphragme et le péricarde du côté du cancer. Cette chirurgie extensive avait pour le patient des conséquences médicales et fonctionnelles trop lourdes par rapport aux bénéfices en termes de guérison et d’espérance de vie. Sauf pour quelques rares cas très spécifiques, elle est appelée à disparaître.

A.B. : Y a-t-il une amélioration de la durée de survie chez les patients atteints de mésothéliome. Si oui, est-elle significative ?

En l’absence de déclaration obligatoire et de données exhaustives, il est difficile de répondre à cette question avec des données chiffrées. Cela dit, d’un point de vue empirique, j’ai le sentiment que l’espérance de vie de nos patients est plutôt en augmentation de façon modeste sur les dernières années.

Ce n’est donc pas satisfaisant mais cela va quand même dans le bon sens. On n’en est pas encore à des chiffres comparables à ceux d’autres cancers. Une interne de mon service fait sa thèse sur ce sujet en reprenant les données d’espérance de vie des patients sur une dizaine d’années au CHU de Lille.

Un des rôles de la banque de données que nous allons créer est précisément de mieux cerner la tendance.

E.L. Qu’apportera la déclaration obligatoire du mésothéliome ?

Elle a été d’abord mise en place dans certaines régions pilotes, puis étendue au reste du territoire il y a quelques mois. Elle n’est pas encore tout à fait rentrée dans les mœurs.

La déclaration est faite soit par le clinicien soit par le pathologiste. On va essayer de stimuler cette déclaration par le réseau Mésoclin en donnant au médecin la possibilité d’utiliser l’outil informatique pour faire d’une pierre deux coups : il pourra déclarer son patient et en même temps soumettre son dossier en réunion de concertation pluridisciplinaire.

E.L. Les associations pourront diffuser cette information.

Oui. Le patient doit être conscient de l’utilité de cette déclaration et savoir qu’il peut bénéficier d’un avis d’expert par une réunion de concertation pluridisciplinaire au plan régional, voire national si besoin.

E.L. Certains mésothéliomes diagnostiqués très tardivement ne sont pas signalés.

Dans la déclaration obligatoire ils devront être pris en compte. L’un des buts de Mésoclin est de parvenir un diagnostic plus précoce. C’est un enjeu important. A terme, les réunions de concertation donneront des avis diagnostiques autant que thérapeutiques.

En l’absence d’outils de dépistage validés, il est important que, dès qu’un patient peut être suspecté d’avoir un mésothéliome, il soit rapidement orienté dans le bon circuit pour être diagnostiqué au plus vite. Il y aura malheureusement toujours des diagnostics tardifs parce que le mésothéliome est un cancer de diagnostic difficile, mais il est important d’en limiter le nombre au maximum.

LA PHOTOTHÉRAPIE

Juste avant une intervention chirurgicale visant à ôter la tumeur, on administre un produit photosensibilisant. Il va être rapidement éliminé par les cellules normales mais il va être gardé plus longtemps dans les cellules tumorales qui sont inflammatoires.

Le chirurgien procède à une pleurectomie radicale qui consiste à enlever toute la tumeur macroscopiquement visible. Après cette intervention subsisteront des cellules tumorales microscopiques, indétectables à l’œil nu ou inaccessibles. La photothérapie dynamique a pour but d’en faire une destruction sélective.

A la fin de l’intervention dans la cage thoracique on illumine la paroi thoracique et le poumon avec une source laser. L’exposition à la lumière des cellules cancéreuses qui ont assimilé le produit photosensibilisant a deux effets :

1) Elle provoque une réaction chimique avec la création immédiate de radicaux oxygénés qui vont détruire les cellules tumorales. Elle tue aussi la tumeur en détruisant les néo-vaisseaux tumoraux (le système vasculaire qui l’entoure)

2) La destruction des cellules tumorales libère des antigènes qui vont provoquer une réaction immunitaire pour aider à tuer les cellules tumorales restantes.

Cette intervention est suivie d’une chimiothérapie post-opératoire classique (Cisplatine et Alimta) pour compléter la destruction des cellules tumorales qui auraient pu échapper au bistouri du chirurgien et à la photothérapie.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°39 (mai 2012)