Le jugement du tribunal de Turin a fait l’effet d’un coup de tonnerre non seulement en Italie, mais aussi dans tous les pays où l’amiante a semé la maladie et la mort. Il résonne comme un avertissement à tous ceux qui sacrifient des vies humaines à la recherche du profit. Bruno Pesce, président de l’association des familles de victimes de Casale Monferrato, en analyse ici les aspects les plus marquants.

Bruno PESCE, coordonnateur de l’Afeva

 

« Un formidable encouragement pour les victimes de l’amiante du monde entier »

 

« Ce verdict c’est le résultat de trente années de lutte.
Il y a eu deux extraordinaires moments d’émotion dans ce procès.
Le premier, le 20 juillet, quand le juge, après 18 audiences préliminaires, a confirmé la recevabilité des poursuites contre Schmidheiny. Les arguments de la défense sur l’inconstitutionnalité des poursuites et leur tentative d’obtenir que les prévenus soient jugés ailleurs qu’à Turin avaient été balayés. Après tant d’années nous avions enfin la certitude que les deux accusés seraient jugés.

Le deuxième moment fort, le 13 février 2012, lorsque le juge Giuseppe Casalbore prononça le mot : « Coupables ! ».

Ce fut un moment d’immense satisfaction, mais aussi de grande douleur, en pensant à toutes les vies brisées par cette catastrophe. 
Dans les salles d’audience il y avait des malades et des familles, des syndicalistes, des lycéens de Casale, des élus locaux, des délégations venues de France, de Belgique, de Suisse, du Brésil… »

Une instruction exemplaire

Il faut rendre hommage au formidable travail du procureur Guariniello.
Il a mené avec ténacité et professionnalisme une instruction exemplaire à la fois par les méthodes d’ investigation, par la recherche des responsabilités et par les chefs d’accusation retenus.

Leurs méthodes d’investigation, inhabituelles en Italie pour ce type d’affaire, ont montré leur efficacité : les perquisitions ont notamment mis à jour une masse de preuves de la responsabilité des deux accusés. Elles ont révélé le système d’espionnage d’Éternit, qui surveillait les activités de l’association et des syndicats. Ils ne pouvaient pas ignorer le danger de l’amiante.

L’instruction a fait remonter les responsabilités au plus haut niveau.
Les accusés ne sont pas des lampistes, ce sont les dirigeants de la multinationale.

Enfin, le chef d’accusation n’est pas l’homicide involontaire ou l’atteinte involontaire à l’intégrité physique, mais une catastrophe sanitaire et environnementale permanente, causée par tromperie délibérée.
Il s’agit d’un désastre collectif commis par des responsables qui ont mis sciemment en danger la santé et la vie des ouvriers et des habitants sans les informer. Ce désastre est permanent, car le risque persiste et nul ne peut dire quand il disparaîtra.

Un jugement qui fera date

Le jugement du 13 février restera dans l’histoire. Il a été ressenti comme un acte libérateur : pour la première fois au monde, la justice qualifie l’activité des hauts dirigeants d’Éternit de criminelle.

Les épouvantables dommages subis par les ouvriers de ces usines et la population voisine n’ont pas un caractère accidentel ou involontaire ; ils sont le résultat prévisible d’une stratégie planétaire, systématiquement planifiée au plus haut niveau par les dirigeants de cette multinationale, au cours de réunions où se retrouvaient des responsables de Belgique, de Suisse, de France et d’autres pays.

Ce jugement démontre que ces gens-là ont agi en parfaite connaissance de cause et que cette tragédie était évitable.

Mobilisation des Casalais et solidarité internationale

Un des aspects les plus frappants dans ce procès, c’est la participation massive des victimes et des familles aux audiences. Il y a près de 100 kilomètres de Casale Monferrato à Turin (une heure et demie de route). A chacune des 83 audiences, deux ou trois cars ont fait le voyage. Il y avait toujours au moins une centaine de personnes dans la salle...
Les organisations syndicales (Cgil, Cisl, Uil) sont partie prenante de la lutte.

Le second aspect marquant a été la dimension internationale de ce procès. Durant toutes ces années nous avons été soutenus par des associations de France, de Belgique, de Suisse, du Brésil, des États-Unis… Des experts internationaux ont apporté des données historiques et scientifiques. Des avocats italiens, français, belges, suisses, hollandais ont travaillé sur ce dossier. Face à la multinationale des empoisonneurs nous avons opposé la multinationale des victimes.

Un aboutissement et un point de départ

Ce jugement est pour nous à la fois l’aboutissement de trente années de lutte et un point de départ : les accusés ont fait appel. Il y aura aussi un procès « Eternit-bis » pour de nouvelles victimes tombées malades après le début du procès. A Casale, la lutte pour la dépollution de la ville et pour la recherche sur le mésothéliome continue. »

 

JUGEMENT HISTORIQUE À TURIN 

Le 13 février 2012, le tribunal de Turin a condamné le Suisse Stephan Schmidheiny et le Belge De Cartier de Marchienne à 16 années de prisons et à verser de très importantes indemnités aux victimes et aux familles de victimes décédées, mais aussi à leur association, aux organisations syndicales et aux institutions locales qui ont assumé le coût des travaux de dépollution.
Ce jugement a été accueilli avec émotion et enthousiasme par les délégations de victimes venues de nombreux pays, et notamment par les 200 français qui ont pu suivre en direct l’énoncé du jugement dans une salle du Palais de Justice sur un circuit de télévision interne avec traduction simultanée.
Ils n’oublieront jamais la lecture de la condamnation ni celle des noms des victimes qui dura près de trois heures.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°39 (mai 2012)