La présence d’amiante au CHU de Besançon était connue. Pourtant, la direction de l’hôpital a exposé à plusieurs reprises des agents et des salariés d’entreprises intervenantes à l’inhalation de ces fibres mortelles. L’inspecteur du travail a déposé un rapport au parquet de Besançon qui a confié une enquête à la direction inter-régionale de la police judiciaire et à l’office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Les faits sont accablants. Le CHU  a été condamné en première instance, en appel et en cassation. Maître Michel Ledoux souligne l’importance de ces décisions de justice qui rappellent leurs obligations de sécurité aux employeurs publics.

L’hôpital de Besançon a été condamné trois fois : par le tribunal correctionnel de Besançon,  par la Cour d’appel et par la chambre criminelle de la Cour de cassation.  Pourquoi ?

Michel LEDOUX : La direction de cet hôpital a fait la preuve d’un véritable acharnement à ne pas respecter la réglementation. Elle avait cru échapper à ses responsabilités en prenant Claude Evin, ancien ministre de la Santé, pour avocat. Il a semblé plutôt mal à l’aise pour défendre une aussi mauvaise cause.

Quels sont les critères pour que le délit de mise en danger d’autrui soit constitué ?

ML : Par un arrêt du 13 novembre 2019, la Cour de cassation a  précisé les critères constituant ce délit ainsi que l’ordre dans lequel les magistrats doivent les examiner.

En application de l’article 223-1 du code pénal, « il incombe au juge de rechercher (...) l’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation est susceptible de permettre la caractérisation du délit ; qu’il lui appartient ensuite d’apprécier le caractère immédiat du risque créé, puis de rechercher si le manquement relevé ressort d’une violation manifestement délibérée de l’obligation de sécurité ».

La première condition est  l’existence d’un arrêté, d’un décret ou d’une loi imposant à l’employeur des obligations précises en matière de sécurité. La référence aux principes généraux de prévention ne suffit pas.

Pour l’amiante, il existe une réglementation très précise. Et, le CHU avait une triple responsabilité : en tant que maître d’ouvrage, employeur et propriétaire des bâtiments.

La deuxième condition est l’existence d’un « risque immédiat de mort ou de blessure ». Pour l’amiante, la réalité de ce risque est démontrée par des connaissances scientifiques anciennes et par l’existence d’un tableau de maladies professionnelles. Le lien de causalité entre le non respect des obligations de l’employeur et le risque encouru par le personnel peut être aisément établi.

La troisième condition est l’existence d’une violation manifestement délibérée de l’obligation de sécurité ». Il ne suffit pas de constater que cette obligation n’a pas été respectée. Il faut démontrer que l’employeur a fait preuve d’une véritable hostilité à l’application de la norme.

C’est ce qui s’est passé au CHU de Besançon : la direction  a manifesté un véritable acharnement dans ce domaine. Il ne s’agissait pas, bien entendu, d’une volonté de tuer, mais d’une volonté délibérée de ne pas appliquer une réglementation dont elle ne pouvait ignorer l’existence.

Elle avait pourtant été avertie à de multiples reprises par le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), par les représentants du personnel, par l’inspecteur du travail et par la Caisse régionale d’assurance maladie. Elle n’a rien voulu entendre.

Quelle est la portée de ce jugement ?

ML : Elle est très importante. C’est la première fois en France qu’un établissement public et particulièrement un hôpital est condamné pour ce motif. Cette victoire judiciaire est exemplaire.

C’est une incitation forte à la prévention pour des responsables qui ne sont pas prêts d’oublier ce procès.

Ce combat judiciaire a valeur d’exemple.

Il a eu un fort retentissement dans beaucoup d’autres hôpitaux où des équipes syndicales l’ont suivi avec une grande attention.


« une violation manifestement délibérée »

L’amiante était partout : faux plafonds, dalles de sol, flocages...   L’enquête de police est un véritable musée des horreurs :  débris de flocage tombant sur les ordinateurs, diagnostics incomplets, pas d’évaluation des risques ni de procédure d’intervention, pas d’information des intervenants... Des électriciens ont passé des câbles dans des faux plafonds sans savoir qu’ils étaient amiantés... L’inspecteur du travail avait rappelé ses obligations de sécurité à la direction, mais elle a obstinément violé la loi pendant des années.


Le Délai de prescription

La mise en danger d’autrui est un délit.  Le délai de prescription est de six ans à compter du dernier acte constitutif de l’infraction.

Avant 2017, le délai de prescription, au-delà duquel les poursuites judiciaires au pénal ne sont plus possibles était de trois ans pour les délits et de dix ans pour les crimes. La loi du 27 février 2017 a porté ce délai respectivement à six ans et à vingt ans.


LES RAISONS D’UNE VICTOIRE

Le 5 juillet 2011 l’inspecteur du travail a adressé au procureur de la République de Besançon un rapport sur la mise en danger de salariés du CHU. Puis un incident majeur, dénoncé par le syndicat CFDT, le 21 mars 2013 a été joint à l’enquête.

Le  dossier  est lourd, avec de nombreux documents (PV de CHSCT, lettres, etc.) Des personnels ont été exposés lors de trois incidents majeurs en avril 2010, décembre  2010 et février 2013.

Dans cette action judiciaire, le CHSCT, les syndicats CFDT, CGT, et FO ainsi que l’Andeva se sont portés partie civile. Leur engagement a été déterminant pour constituer un dossier solide et obtenir cette condamnation. Il est paradoxal que la Cour de cassation ait jugé que la constitution du CHSCT et de l’Andeva en tant que parties civiles était irrecevable.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°63 (juin 2020)