"Pourquoi nous voulons ce procès pénal et pourquoi nous irons jusqu’au bout"

Gilbert Giaretta avait respiré des fibres d’amiante en travaillant sur le site d’Everite à Dammarie-les-Lys de 1954 à 1991. Il est décédé le 11 avril 2002 d’un mésothéliome. Son frère jumeau qui avait travaillé sur le même site est décédé, deux ans plus tard, de la même maladie. Sa veuve, son fils et sa petite fille témoignent. 

MADELEINE
(82 ANS)

J’ai engagé cette poursuite pénale il y a 15 ans. 15 ans après, les juges nous disent : « Circulez ! Il n’y a rien à voir… »

C’est injuste.

C’est  très dur pour les familles. On a vécu la maladie ; on a vécu la douleur et le décès d’un mari. Et aujourd’hui on vit l’injustice. J’ai accompagné mon mari. J’ai vu les médecins incapables d’atténuer sa douleur.

J’ai vu son frère jumeau, hospitalisé dans le même hôpital mourir de la même maladie. Je ne pourrai jamais oublier.

L’audience du 16 octobre se tiendra à huis clos. Je ne pourrai pas y assister. J’attends un procès depuis 15 ans et quand il y a une audience on me dit : « Vous restez dehors ! »

Ce n’est pas normal. Quelle injustice ! Quel mépris ! Tout est fait pour déstabiliser et pour écoeurer les victimes et les familles. On nous a menti. On nous a caché des choses. En 1987 un travailleur de l’usine est décédé d’un mésothéliome. Personne n’en a parlé. Je ne l’ai appris que longtemps après, quand j’ai engagé une action en faute inexcusable.

Certains disent : vous avez été indemnisés. La faute inexcusable a été reconnue. Qu’est-ce que vous voulez de plus ?

Nous voulons la justice.

Si nous nous  battons aujourd’hui, ce n’est pas pour de l’argent, c’est pour la justice, pour que les coupables soient punis.

C’est pour que tous les morts de l’amiante ne soient pas morts pour rien.

Si pour l’amiante, il n’y a aucun responsable, cela veut dire qu’il y aura d’autres catastrophes et d’autres morts sans responsable.

Cela voudra dire que tout est permis.

Mes enfants et moi, nous sommes décidés à aller jusqu’au bout.


JEAN-MICHEL
(63 ANS)

Toute le France se souvient de l’affaire du sang contaminé avec cette phrase terrible des politiques « responsable mais pas coupable ».

Aujourd’hui la justice nous indique qu’il est impossible d’établir des responsabilités pénales. Donc :

- Les décideurs politiques ne sont pas responsables !

- Le Comité Permanent Amiante (CPA) n’est pas responsable !

- Les industriels ne sont pas responsables !

Dans le non-lieu rendu le 4 décembre 2018 concernant notre famille, les magistrats mentionnent des hypothèses, des suppositions, fautes éventuelles, et plusieurs fois le mot « incertitudes », avec notamment la phrase suivante :

« Face à ces  incertitudes,  il n’est pas possible de mettre en corrélation le dommage et les éventuelles fautes qui pourraient être imputées à des personnes qui auraient une responsabilité dans l’exposition à l’amiante ».

Nous n’acceptons pas qu’en France, la Justice évoque des difficultés à prouver des responsabilités pendant que les familles des victimes s’efforcent de faire vivre la mémoire de leurs morts contaminés par l’amiante.

Moi, j’ai une certitude : mon père est mort le 11 avril 2002 des suites d’un mésothéliome.

Et son frère jumeau est mort, deux ans après lui, de la même maladie.

Dans les années 60, j’avais six ans. Je me souviens des récits de mon père qui nous racontait les «  batailles de boules de neige » dans l’atelier avec des boules d’amiante. Des gens haut placés savaient dès cette époque que l’amiante pouvait tuer. Mon père, lui, l’ignorait.

Ce que nous demandons, c’est d’abord que le procès s’ouvre. Ce serait une première réponse à nos attentes. Nous pourrions nous dire : ils vont enfin rendre des comptes.


ELISA
(22 ANS)

Je fais des études de droit. Je ferai du droit pénal. Peut-être serais-je un jour en prise directe avec des responsables.

Même si ce procès soulève des questions de droit, je ne comprends pas qu’on puisse exonérer des dirigeants de leurs responsabilités.

On retrouve un problème sur le lien de causalité dans toutes les catastrophes sanitaires.

On ne peut pas dire que quelqu’un n’est pas responsable parce qu’ils étaient plusieurs.

La première chose que nous espérons c’est qu’il y ait un procès pénal. C’est la première étape. On ne peut pas s’arrêter sur une ordonnance de non-lieu comme s’il ne s’était rien passé.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°64 (novembre 2020)