En juin dernier, Sylvain écrivait à maîtreLedoux, son avocat aux prud’hommes, unelettre décrivant ses préjudices. L’état desanté de son épouse, atteinte d’un mésothéliome, se dégradait rapidement.

Après son décès, il a voulu faire de cette lettre un témoignage pour que chacun puisse entendre ses souffrances et comprendre que les générations futures ne doivent plus jamais revivre de tels drames.

« Ce préjudice d’anxété de développer une maladie pour moi-même ne représente qu’une infime partie des préjudices réellement endurés (carrière professionnelleanéantie, perte de salaire, destruction de la vie sociale et sentimentale et bien plus encore...)

Je me sens responsable d’avoir transporté à mon insu des fibres d’amiante dans mon milieu familial et de ce fait contaminé mon épouse et peut-être aussi mes enfants.

Je suis particulièrement anxieux de la rapide dégradation de la santé de ma femme (cancer de la plèvre). En effet, je suis constamment auprès d’elle depuis la découverte de la maladie (2 ans et demi).

Ainsi, je vis au jour le jour la dégradation de son état de santé et sa perte d’autonomie. J’assure auprès d’elle tous les transports et toutes les tâches de la vie courante depuis le début de sa maladie.

Je vis son cancer en craignant que celui-ci ne devienne prochainement le mien ou celui d’un de mes enfants avec la même issue fatale.

Je suis horrifié et désemparé, pour moi et mon entourage, de constater que mon ancien employeur (les Chantiers de Normandie) et tous les responsables se trouvent dédouanés de toute culpabilité. Ils ont bien accepté les titres, les pouvoirs, les prestiges, les rémunérations...

Mais, malgré les témoignages prouvant mon contact direct avec l’amiante par mon activité, le défaut d’information et l’absence de protections individuelles, aucun n’assume sa responsabilité.

Je sais que, depuis mon embauche, mon employeur avait une totale connaissance du fait que je travaillais dans un environnement contaminé aux conséquences mortelles. Malheureusement notre vie ne ressemble pas à celle de deux retraités paisibles.

Nous avons tous les deux commencé à travailler assez tôt (16/17 ans), cotisé pour la retraite, élevé et accompagné nos quatre enfants. Aujourd’hui nous aurions dû profiter de nos deux retraites sereinement, de nos enfants et petits enfants dans de bonnes conditions. Nous aurions dû nous faire plaisir en profitant d’un repos bien mérité (voyages, sorties, choyer nos proches).

La réalité est tout autre. La souffrance physique et psychologique de ma femme concentre toute notre attention. Les actions médicales (séjour hôpital, visite médecin et spécialiste, etc.) consomment tout notre temps. L’avenir - que j’espère loin mais peut être proche - est très sombre.

Ma retraite, seul et sans but, me semblera anodine, dérisoire.

Toutes ces peines et ces souffrances inutiles sont dues à des négligences délibérées ou des inconsciences techniques et administratives en premier lieu. Ma femme va quitter ce monde, je n’ai plus de but, ma famille est dans la peine et je suis très anxieux pour ma femme, moi et mes proches... »

[ Sylvain temine sa lettre en retraçant les étapes qui ont jalonné chez lui la montée de l’anxiété avant la maladie de son épouse : son premier scanner de contrôle, sa petite assurance-vie au profit de sa femme, sa décision à contre-coeur de mettre fin à l’évolution de sa carrière professionnelle et de valider sa pré-retraite amiante...]


Article paru dans le Bulletin de l'Andeva n°48 (septembre 2015)