La lutte pour un procès pénal de l’amiante fut l’acte de naissance de l’Andeva il y a 20 ans. Elle s’est heurtée à un tir de barrage de tous ceux qui dans la magistrature et au sommet de l’Etat ne veulent pas de ce procès. Au congrès de l’Andeva en juin dernier, Pierre Pluta a fait le point. Voici le texte de son intervention.

Un rappel historique

« La plupart des premières plaintes au pénal ont été déposées en 1996, les suivantes en 2005, suite à la mobilisation des veuves et victimes du réseau Andeva qui en marchant toutes les trois semaines durant plus d’un an autour du Palais de justice de Dunkerque ont contraint :

- le ministère de la Justice à regrouper l’ensemble des plaintes amiante au pôle judiciaire de santé publique, par une circulaire du 12 mai 2005. N’oublions pas que les dossiers étaient plongés dans un sommeil profond au fond des tiroirs des tribunaux locaux ;

- le Parquet à ouvrir les deux premières informations judiciaires du dossier amiante, le 12 décembre 2005 ;

- le ministère de l’Intérieur à créer les cellules d’Officiers de police judiciaire afin de donner les moyens aux juges pour instruire les dossiers, le 26 janvier 2006.

Quels sont les responsables de cette catastrophe sanitaire ?

- Les industriels de l’amiante, qui, en toute connaissance des conséquences, ont produit et diffusé le produit cancérogène, ils ont privilégié leurs intérêts au détriment de la santé des populations. En résumé, on sait qu’on va tuer mais on s’en fout.

- Tous ceux qui ont siégé, ou qui, par une implication personnelle ont apporté leur pierre dans l’existence et le fonctionnement durant 13 ans du CPA, véritable lobby de l’amiante financé par les industriels de l’amiante. Ils portent une responsabilité partagée dans la mort de milliers d’entre nous, ils ont permis aux industriels de l’amiante de gagner treize années de profits mais aussi de continuer d’empoisonner durant treize ans (de 1982 à 1995).

- Tous ceux qui avaient pour mission d’assurer la sécurité sanitaire des salariés, c’est-à-dire les employeurs, les médecins et inspecteurs du travail. Des centaines de procédures en indemnisation ont conclu à l’existence de fautes inexcusables des employeurs, ce qui veut dire que le TASS indique clairement dans ses jugements que les maladies dont nous sommes atteints ainsi que les décès par cancer dû à l’amiante sont consécutifs à une négligence de l’employeur.

- L’Etat, dont la responsabilité générale, globale, est d’établir des textes de loi censés protéger la santé publique et de veiller à ce qu’ils soient appliqués.

Pourquoi un procès pénal ?

Afin que l’on n’oublie jamais l’ampleur de cette catastrophe sanitaire sans précédent, je rappelle seulement quelques chiffres effrayants concernant notre pays : 10 morts chaque jour tués par l’amiante, 3 à 5000 morts par an tués par l’amiante, 100 000 morts sont programmés dans les deux prochaines décennies. L’Ardeva de Dunkerque, comptait 50 veuves en 2003, elles étaient 140 lors de la première marche pour la justice contre l’oubli en décembre 2004, elles sont malheureusement 608 aujourd’hui.

Il ne s’agit pas de crier vengeance ni de demander la tête de qui que ce soit. Cela n’aurait pas de sens. L’objectif est de comprendre pourquoi on est arrivé à cette situation, qui a laissé faire et pour quelles raisons.

Il s’agit également de prévention, les leçons du scandale de l’amiante n’ont pas été tirées, d’autres catastrophes sanitaires sont à venir, un poison en a remplacé un autre : FCR en remplacement de l’amiante et bien d’autres cancérogènes sont encore utilisés : CMR, éthers de glycol, pesticides - pour ne citer que ceux-là - qui détruiront de nombreuses vies dans les années à venir, ces mêmes grands trusts qui nous ont empoisonnés durant plus d’un siècle continuent à empoisonner les pauvres gens au-delà de nos frontières avec pour seul objectif, se remplir les poches.

Comme une vingtaine de pays l’ont rappelé à Paris le 13 octobre 2012, nous exigeons un monde sans amiante. Nous voulons éviter à nos enfants de devoir à leur tour manifester dans les rues après avoir été empoisonnés. C’est aussi une question de dignité. Les ouvriers n’auraient-ils pas droit au respect et à la dignité ? Nous rappelons aux ministres du travail et de la santé que nous sommes dans un état de droit où la vie humaine à un prix, il faut que tous ceux qui la mettent en péril en bafouant la loi soient sanctionnés et rendent des comptes à la justice.

Tant que tous les responsables de la catastrophe sanitaire de l’amiante n’auront pas de compte à rendre à la justice, les empoisonneurs actuels et futurs n’auront pas à s’inquiéter. C’est un permis de tuer en toute impunité qui leur est délivré.

A ce jour, ce ne sont pas les empoisonneurs mais bien nous, victimes, qui payons les conséquences de ces fautes graves au prix le plus fort, au prix de ce qu’il y a de plus précieux, c’est-à-dire au prix de la santé qui se dégrade, au prix de vies brisées, au prix de familles anéanties.

C’est à la justice qu’il revient d’instruire ces dossiers, d’entendre ces personnes, de décider de leur sort et des sanctions à infliger. C’est aux pollueurs-empoisonneurs, et non pas à la collectivité, qu’il revient d’assumer toutes les conséquences, y compris financières, de leurs actes criminels. Ils doivent être condamnés à financer l’éradication totale de l’amiante, la collecte et l’inertage des déchets, l’indemnisation des soins ainsi que des préjudices subis par les victimes et leur famille.

Nous exigeons le procès pénal de l’amiante en France, tous ces malades, toutes ses souffrances, tous ces morts, toutes ces familles anéanties, personnes ne nous fera croire que c’est dû au hasard.

Où en sommes-nous ?

L’espoir de voir enfin jugés tous les responsables s’amenuise, les mauvaises nouvelles se sont succédé depuis un an, les non-lieux aussi.

La Cour de cassation ellemême a légitimé l’annulation des mises en examen des hauts fonctionnaires et des principaux membres du Comité permanent amiante, dans le dossier Condé-sur-Noireau.

Dans ce dossier, elle valide le point de vue de la chambre de l’instruction qui avait jugé qu’il n’y avait pas d’indices graves et concordants de leur culpabilité.
Cette affirmation est erronée et contradictoire avec les pièces du dossier.

Le même jour la cour a cassé les arrêts de la chambre de l’instruction pour Jussieu et Normed, mais, en l’état actuel, ces dossiers suivront probablement la même voie que celui de Condé.

Jusqu’à présent, selon la justice, il n’y aurait rien à reprocher aux membres du CPA, ils auraient bien agi pour la prévention.

Les chiffres de cette catastrophe sanitaire ne sont ils pas suffisamment éloquents pour démontrer le contraire ?

Puisque que les empoisonneurs ne seraient pas les responsables,

- serions-nous, nous victimes, coupables d’avoir
volontairement et en toute
connaissance de cause
« sniffé » de l’amiante ?

- serions-nous, nous victimes, coupables d’avoir les poumons rongés par le poison ?

- les veuves seraient-elles coupables d’avoir empoisonné leur mari ?

Et maintenant que faisons-nous ?

Il va falloir, dès notre A.G. de demain et lors des prochains C.A. analyser en profondeur les raisons et tirer les enseignements de ce qu’il faut bien appeler un échec :

- Réfléchir à une possible modification du code pénal qui n’est pas adapté lorsque la cause est indirecte et les effets différés comme c’est le cas pour la catastrophe sanitaire de l’amiante. Je pense notamment à la loi Fauchon.

- Nous allons une nouvelle fois demander au juge d’instruction du Pôle de santé publique de prendre en compte, dans le cadre de la saisine globale, les 1221 nouveaux dossiers de victimes de l’amiante dont 177 décès, soit 712 dont 90 décès sont des ex-salariés de la Normed à Dunkerque, 466 dont 87 décès sont des ex salariés de l’usine sidérurgique Sollac (aujourd’hui Arcelor Mittal) à Dunkerque.

- Il faut un procès pénal complet où on examinera à la fois la responsabilité des la fois la responsabilité des industriels, celle des hauts fonctionnaires et celle des membres du Comité permanent amiante, nous ne nous contenterons pas d’un procès pénal des responsables du bas de l’échelle.

Une chose est sûre, nous ne baisserons pas les bras.

Je terminerai mon intervention en reprenant la dernière partie de la déclaration commune des représentants des pays présents lors des réunions internationales :

1) La vie et la dignité humaine doivent être préservées sur les lieux de travail et de vie. Personne n’a le droit de donner la priorité au profit sur la santé et la vie humaine.

2) Les multinationales sont très puissantes mais leur impunité peut être vaincue quand les victimes s’unissent et luttent avec le soutien de l’opinion publique et de la solidarité internationale.

3) L ’amiante, qui continue à être produit et commercialisé dans les trois quarts de la planète, doit être interdit immédiatement dans tous les pays.


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N°49 (septembre 2015)