Leurs victimes se comptent par milliers.  Ils sont condamnés pour « faute inexcusable de l’employeur ». Et ils présentent la facture aux contribuables !

Suite au décès d’un de ses salariés, tué par l’amiante, la société Latty a été condamnée pour faute inexcusable de l’employeur par le Tass de Chartres puis par la cour d’appel de Versailles.

Elle a demandé à l’Etat de payer à sa place la totalité de l’indemnisation due aux ayants droit ainsi que 50 000 euros de « préjudice moral » dû à la « dégradation de son image ».

Le 27 mai 2014, le tribunal administratif d’Orléans  a « coupé la poire en deux » en demandant à l’Etat de rembourser à l’employeur fautif la moitié des indemnités versées à la famille !

De son côté, Eternit avait lancé avant Latty devant le tribunal administratif de Versailles, deux procédures qui furent jugées ensuite. Elles ont obtenu des résultats analogues.

La décision du tribunal administratif d’Orléans n’est pas à prendre à la légère. L’Andeva s’est portée en intervention volontaire contre Latty devant la cour d’appel administrative de Nantes.

Sur quoi se fonde Latty ?

Sa demande, comme celle d’Eternit, se fonde sur des arrêts du Conseil d’Etat de 2004. Une avocate, Maryse Joissans, avait saisi les tribunaux administratifs pour faire indemniser des victimes par l’Etat au lieu de faire condamner leur employeur en faute inexcusable. Le Conseil d’Etat avait reconnu la responsabilité de l’Etat.

Les mensonges de Latty sur la situation à Brou

La société Latty prétend qu’elle a toujours scrupuleusement respecté la réglementation de l’époque.

La cour d’appel de Versailles démolit cette affirmation en évoquant « un empoussièrement majeur des ateliers », une « absence d’information » des salariés « dépourvus de tout matériel de protection individuelle », en contradiction flagrante avec la loi du 12 juin 1893.  Un tel constat devrait suffire à faire tomber ses prétentions.

En fait ce recours de Latty ne concerne pas seulement une victime particulière d’une entreprise particulière.  Il est en effet demandé à la Cour administrative d’appel de « préciser  pour la première fois les conditions de mise en oeuvre du partage de responsabilité entre l’Etat et les entreprises du secteur de l’amiante »

Un enjeu pour toutes les maladies professionnelles

« Cette demande concerne a minima toutes les maladies professionnelles liées à l’amiante et implicitement l’ensemble des accident du travail et des maladies professionnelle (AT-MP), note Michel Parigot, vice-président de l’Andeva. Elle introduit un bouleversement complet dans le système de  réparation des AT-MP. Leur indemnisation de base n’est en effet pas à la charge de l’employeur concerné. Elle est mutualisée. Mais cette mutualisation ne s’applique pas à l’auteur d’une faute inexcusable qui doit indemniser les dommages qu’il a causés.  Or, ce que demande Latty, c’est une exonération de moitié de cette petite contribution, en contradiction flagrante avec la volonté du législateur. »

Un recul pour la prévention

Eternit et Latty font cause commune. Si cette jurisprudence était confirmée en appel et en cassation, des milliers d’employeurs condamnés demanderaient aussitôt une ristourne de 50% sur  les conséquences financières de leurs fautes.

Cela réduirait fortement l’incitation à la prévention que constitue la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur.

Eternit a, lui aussi, obtenu cinq jugements devant le tribunal administratif de Versailles qui mettent à la charge de l’Etat 50% du montant des indemnités qu’il doit verser après avoir été condamné pour « faute inexcusable de l’employeur. »

Le tribunal a considéré que l’Etat et Eternit « ont également et directement concouru pour moitié au développement de la maladie professionnelle » et qu’étant « co-auteurs » des dommages subis par  les victimes et leurs familles, ils devront se partager la charge de l’indemnisation.

La sanction financière de l’employeur fautif est réduite de moitié. Aux contribuables de payer le reste.

 


La Stratégie du « 50-50 »

Latty-Eternit : deux noms sinistrement emblématiques dans l’histoire de l’amiante.

Dans leurs usines, ils ont fait travailler des ouvriers sans information ni protection, dans d’épais nuages de fibres cancérogènes.

Aujourd’hui les maladies et les morts se comptent par milliers.

Ils ont été condamnés des centaines de fois pour « faute inexcusable de l’employeur », sans exprimer l’ombre d’un regret. Leur seul souci est de payer le moins possible.

Hier ils empoussiéraient leur ateliers au mépris de la loi et menaçaient de fermer leurs usines si une réglementation trop stricte était adoptée. 

Aujourd’hui ils dénoncent les « insuffisances » d’une réglementation passée qu’ils disent avoir respectée et réclament que la moitié des indemnisations dues aux victimes soit payée par les contribuables !

Il y a quelque chose de sordide et d’indécent dans ce refus d’assumer les conséquences financières des fautes qu’ils ont commises.

DES MORTS QUI RAPPORTENT

« Chez Eternit, les victimes de l’amiante se comptent par milliers. Des centaines d’actions en faute inexcusable de l’employeur ont été gagnées par des salariés contaminés à Thiant, Albi, Eternit Caronte ou dans la mine de Canari…

Malgré ces condamnations répétées, Eternit a longtemps pu échapper à toute sanction financière en invoquant des vices de procédure des caisses primaires.pour obtenir que  ces maladies professionnelles lui soient « inopposables ».

Il a même réussi à gagner de l’argent, en se faisant rembourser une grande partie des cotisations que l’entreprise avait versées à la Sécurité sociale :

- 1.538.000 euros en 2003,

- 130.000 euros en 2004,

- 235.000 euros en 2005.... »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva en avril 2015