Il y a 12 ans, Ahmed**, un ouvrier du bâtiment, témoignait de sa vie gâchée et de son amertume d’avoir respiré l’amiante sans connaître ses dangers. Il était notamment intervenu à l’usine d’amiante CMMP  d’Aulnay. Ahmed nous a quittés peu après avoir écrit ce témoignage que nous lisons avec la même émotion qu’il y a 12 ans.

« Je suis d’origine marocaine, arrivé en France à l’âge de 31 ans avec la ferme volonté de travailler pour vivre mieux.  Si j’ai laissé mon pays loin, c’est pour fuir la misère et assurer un avenir digne à ma famille. Donc, je suis venu en France pour travailler et non pour me sacrifier.  J’ai travaillé dans le secteur du bâtiment entre 1970 et 1990, comme maçon dans différentes entreprises, dont Bâtiment Assainissement en 1970 à Aulnay-sous-Bois, au Comptoir des minéraux et matières premières. Depuis 1990, je suis sans emploi.

Aujourd’hui je suis atteint d’un mésothéliome et je sais ce qu’il représente comme fardeau, avec des douleurs  qui ont entraîné mon hospitalisation en 2003. Aujourd’hui, je vis avec cette maladie, après avoir donné le meilleur de moi-même au travail, sans protection et sans information sur les risques professionnels.

J’ai des douleurs, des essoufflements sans le moindre effort, des vertiges même en marchant sans forcer, des maux de tête, une sensibilité aux odeurs, aux bruits et à la vie en groupe, ce qui réduit la vie sociale et mon entourage. Je ne peux plus voir des amis et des gens de la famille comme et quand je veux. Pour les loisirs, là encore, rien à faire, faire du bricolage relève de l’exploit puisque ça devient une corvée. Au moindre effort j’ai les jambes qui tremblent.

Le plus délicat pour ma famille, c’est le changement de mon caractère, moi qui étais calme, je suis devenu facilement irritable, je m’emporte pour rien, ce qui est insupportable d’une part et d’autre part, c’est la difficulté pour tous les enfants de se faire à l’idée que cette maladie peut m’emporter à n’importe quel moment. C’est une épée de Damoclès qui pèse sur ma tête et que toute la famille appréhende gravement. Comment vivre normalement avec ce cauchemar de maladie. Le pire, c’est que même après mon départ ma famille souffrira encore à cause du mésothéliome.

Aujourd’hui je suis très amer, je croyais être venu en France pour travailler et vivre, or je découvre que le travail va finir par me tuer à cause de l’amiante. »

** Le prénom a été changé


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva en avril 2015