Dans un arrêt du 3 mars 2015, elle ne reconnaît ce préjudice que pour les salariés dont l’établissement est inscrit sur les listes officielles ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Acaata).

Les faits

Un plombier qui avait été exposé à l’amiante chez ERDF et GRDF avait demandé l’indemnisation du préjudice d’anxiété devant la juridiction prud’homale.

Le 12 septembre 2013, la Cour d’appel d’Aix avait jugé cette demande légitime et lui avait accordé 7000 euros, considérant que « peu importe que les deux sociétés ne soient pas mentionnées » sur les listes ouvrant droit à l’Acaata  « dès lors que le salarié a été directement exposé à l’amiante »
durant neuf années.

La Cour d’appel d’Aix désavouée

La Cour de cassation a cassé son arrêt au motif que « la réparation du préjudice d’anxiété n’est admise, pour les salariés exposés à l’amiante qu’au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l’arrêté ministériel ». 

Autrement dit, ne pourront désormais faire reconnaître leur préjudice d’anxiété que les salariés des établissements qui sont inscrits sur les listes ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante.

Exposés, anxieux, mais exclus ?

La Cour de cassation avait déjà reconnu l’existence de ce préjudice et la légitimité de son indemnisation.

Elle aurait dû considérer qu’il incombait aux juges du fond d’apprécier souverainement la réalité de ce préjudice.

Elle a préféré limiter arbitrairement son champ d’application aux salariés des établissements inscrits sur « les listes Acaata ».

Cette décision arbitraire crèe une inégalité flagrante entre ces salariés et les « exclus » : les salariés ayant inhalé massivement des fibres d’’amiante dans des entreprises ne bénéficiant pas du régime de
« pré-retraite amiante »  ou les salariés qui ont été exposés à d’autres produits cancérogènes.

Ils connaissent pourtant, eux aussi, l’anxiété d’avoir une maladie grave et d’en mourir.


Le coup d'arrêt

Le 10 mai 2010 , la Cour de cassation a reconnu, pour la première fois le préjudice d’anxiété.

Le 4 décembre 2012, elle a jugé que ce préjudice existait qu’il y ait ou non un suivi médical.

Le 25 septembre 2013, elle a reconnu la compétence de l’AGS en cas de défaillance de l’employeur.

Le même jour, elle a jugé que le bouleversement des conditions d’existence est inclus dans ce préjudice.

Le 2 juillet 2014, elle a jugé qu’avoir travaillé dans un établissement inscrit sur les listes prouve ce préjudice.

Mais, la Cour de cassation a rendu récemment deux arrêts défavorables :

Le 2 juillet 2014, elle a jugé que l’AGS n’a pas à indemniser ce préjudice, si l’établissement a été inscrit sur les listes après sa liquidation.

Le 3 mars 2015, elle a jugé que ce préjudice ne pouvait être reconnu que pour les salariés ayant travaillé dans un établissement inscrit sur les listes.

Sa volonté de restreindre le champ d’application de ce préjudice  est manifeste.


Les pressions du patronat

Les patrons ont mené campagne contre le préjudice d’anxiété, dont ils nient même l’existence.

La veille de l’arrêt, Le Figaro titrait « Préjudice d’anxiété : un gouffre financier potentiel ».  L’article présentait ce préjudice comme «  une épine dans le pied du patronat qui souhaite que la Cour de cassation examine vite le sujet et précise les contours de ce préjudice d’anxiété. Il y a urgence : d’autres dossiers, concernant le charbon et un millier de plaignants, arrivent devant les tribunaux mi-mai.»

Le lendemain de l’arrêt, dans le même quotidien  on pouvait lire : « Les organisations patronales peuvent pousser un ouf de soulagement après l’arrêt de la Cour de cassation sur le préjudice d’anxiété ».

Au-delà des questions de droit, il est permis de penser que l’argument économique a pesé lourd.

 


Quelles retombées sur les procédures en cours devant les prud’hommes ?

 

Après l’arrêt de la cour de cassation, existent trois situations différentes.

Pour les salariés des établissements inscrits sur les « listes Acaata » le préjudice est reconnu d’office,

la Cour de cassation a déjà considéré que le simple fait d’avoir travaillé dans un établissement figurant sur les listes suffit à prouver l’existence de ce préjudice, qu’il y ait ou non un suivi médical et sans qu’il soit nécessaire de documenter  l’exposition ni d’apporter des preuves médicales de l’anxiété.

La grande majorité des ex-salariés qui ont engagé une action prud’homale sont dans cette situation..

Pour des salariés fortement exposés à l’amiante, mais dont l’établissement n’est pas inscrit,

Le nombre de procédures est limité. Certaines ont obtenu des décisions favorables en première instance ou en appel. D’autres sont en cours. Pour ces dossiers, on peut comprendre que les magistrats, aient le souci de ne pas banaliser le préjudice d’anxiété et demandent que l’exposition et le préjudice soient démontrés.  Mais on ne peut admettre que ce préjudice soit nié a priori sans examen, comme semble le faire la Cour de cassation. Reste à savoir si les cours d’appel suivront.

Pour des salariés exposés à d’autres cancérogènes que l’amiante,

Le patronat qui avait brandit le spectre de la banqueroute, se félicite. Mais l’arrêt du 3 mars exclut-ilvraiment les autres produits cancérogènes ?
Le magazine Riskassur note que « la Cour de cassation dit le droit mais pour ce qui est du préjudice d’anxiété elle a été au-delà »

« On peut se demander, si le fait d’accorder l’indemnisation au risque d’anxiété aux travailleurs de l’amiante permet de le refuser à des ouvriers, dont les risques liés aux produits qu’ils manipulent sont aussi connus »

« La Cour de cassation risque d’avoir à revenir sur sa jurisprudence, le jour où elle s’avérera inadaptée aux circonstances. »

 


L’avis des mineurs lorrains

770 mineurs de Lorraine ayant été exposés à divers cancérogènes ont engagé avec leur syndicat CFDT une action sur le préjudice d’anxiété.

Le syndicat note que l’arrêt du 3 mars traite de l’amiante mais « n’évoque pas les autres cancérogènes ». Il estime que la Cour de cassation n’a pas remis en cause ce qu’elle écrivait dans son rapport de 2011 sur « le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d’apparition à plus ou moins brève échéance, d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital ».

Il considère que les anciens mineurs des HBL remplissent ces conditions et garde espoir. Les prochaines audiences auront lieu le 13 mai.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°48 (avril 2015)