J’aimerais me joindre à vous et témoigner de mon indignation au nom de mon grand père maternel décédé en 1921 à l’age de 47 ou 48 ans après avoir travaillé 30 ans au Chantier de la Loire à Saint Nazaire comme chaudronnier dans les chaudières de bateaux en construction.

Mon grand père (Henri Martin) qui à travaillé dés l’age de 16 ans sur les chantiers de construction navale, n’a pris congé du travail que pour effectuer son service militaire (2 ans à l’époque !). Réquisitionné pour l’effort de guerre (jusqu’en 1921) sur les Chantiers, il ne s’est arrêté que pour mourir (il était alors chef d’équipe)…
Mon grand père est décédé d’une maladie pulmonaire « non identifiée par les médecins » après avoir souffert des années d’essoufflements de toux et de fatigues.
Evidemment après les carnages de la guerre, son décès n’a fait l’objet d’aucune enquête et n’a donné lieu à aucune indemnité ou pension !
Sobre, non fumeur et encore jeune, il est peu probable qu’il ait souffert d’un cancer du poumon. Je suppose aussi qu’en cas de tuberculose, l’armée l’aurait éloigné des chantiers pour éviter les risques de contamination et je l’espère aurait également prévenu sa famille et son médecin.

Évidemment, personne n’a jamais parlé de l’amiante et ma mère décédée en 1992 de la maladie d’Alzheimer ne pensait plus à la mort de son père depuis bien longtemps !
Membre du CHS de mon entreprise, je me suis naturellement intéressé aux problèmes liés à l’utilisation de l’amiante (dans ce cadre nous avons fait expertiser des faux plafonds suspects qui se sont fort heureusement révélés non amiantés). Bien que ma mère m’ait parlé du « bleu de travail » de son père, couvert de poussière au retour du travail, je n’ai fait le rapprochement avec l’amiante qu’ au moment ou j’ai appris que les chaudronniers de marine faisaient partie des travailleurs les plus exposés…

Évidemment en l’absence de documents je ne saurai jamais si mon grand-père a vraiment été victime de l’amiante. Toutefois, tenant compte de son métier et des circonstances de sa mort, il est fort probable que l’amiante ait été impliqué dans sa maladie et dans son décès prématuré.

A la mort de son père, ma mère alors âgée d’une quinzaine d’années venait d’obtenir brillamment son Brevet d’Études Primaires (ce qui à l’époque était relativement rare dans le milieu ouvrier) et s’apprêtait à passer le concours de l’École Normale d’Instituteurs. En 1921, les aides sociales n’existant pas, ma mère a dû travailler pour subvenir aux besoins de sa mère et de son jeune frère. Son rêve d’Institutrice s’est perdu dans les dures réalités de la vie et une quasi misère.

Après avoir été la seule ressource financière de sa famille pendant une quinzaine d’années, elle s’est mariée avec mon père en 1938.

En 1940 mon père à été victime d’un grave accident du travail dont il est resté handicapé le reste de sa vie (mais avec une petite pension)….

Au décès de mon père en 1969, une nouvelle fois et à l’age de 64 ans, ma mère sans ressources et sans biens, a dû travailler pour subvenir à ses besoins. Étudiant boursier, j’ai du moi-même arrêter mes études pour l’aider…Par la suite elle à bénéficié du Minimum Vieillesse jusqu’à la fin de sa vie (un demi-SMIC).

Sans faire de misérabilisme je considère que le décès de mon grand père (prématuré et probablement lié à l’amiante) à bouleversé une famille sur trois générations. En effet, ma grand-mère, ma mère et moi même (pendant ma jeunesse) avons souffert de la pauvreté engendrée par la perte des ressources financières qui ont suivi la mort de mon grand père.

Dans le contexte historique de la guerre de 14/18, le bouleversement des familles lié à la perte d’un père ou d’un mari était chose commune. La mort de mon grand père est survenue dans ce contexte et pour cette raison a été en quelque sorte « banalisée ».
De mon grand père il ne me reste que deux ou trois photos prises au Chantier de la Loire devant une énorme chaudière de bateau. Sur ces photos prises avec d’autres ouvriers, on perçoit la fierté de faire ce dur travail et je suis sur qu’ils le faisaient tous au mieux.

Après avoir échappé à la mort dans les tranchées, combien sont mort anonymement victime de l’amiante.

Quatre-vingt ans après, combien vont encore mourir victime de la cupidité et de la lâcheté des lobbies de l’amiante ?

Votre combat est au nom de toutes ces victimes.

Cordialement.

Jean Pierre GIRARDEAU.


Articles paru dans le Bulletin de l’Andeva N°21 (novembre 2006)