« Nous avons appris le diagnostic brutalement au début de l’année 1997. Mon mari était suivi depuis des années pour son diabète. Il passait des examens de routine. Nous avions une vie normale. J’étais en retraite depuis peu. Cela permettait de partir avec nos enfants et nos petits enfants.

Le dernier été où nous sommes partis, j’ai bien vu qu’il était essoufflé en montant les côtes et j’entends encore notre petite fille qui lui disait « Allez papi encore un effort ». Nous ne nous sommes pas inquiétés. Nous voulions profiter de notre retraite.

Vers la fin 1996, le médecin qui le suivait a demandé à me voir. Il a demandé s’il avait manipulé de l’amiante. Cela m’a fait comme une pointe au coeur, car je savais que d’anciens collègues de mon mari étaient décédés de l’amiante...

Il a passé un scanner à l’hôpital Saint Louis. Le médecin m’a dit qu’il avait de l’amiante dans les poumons. Je n’ai pas voulu le dire à mon mari. C’était trop dur. J’ai laissé faire le médecin.

Mon mari était tapissier. Pendant 5 ans à la fin des années 50, il a tapissé des salles de cinéma et de théâtre avec des tissus en amiante pour les protéger du feu. Il découpait la toile et la clouait. Comme tous les tapissiers il mettait les clous dans la bouche avant de les poser.

Avec cette maladie, tout a changé, pour nous deux et pour nos deux enfants. Il ne voulait plus rien faire, nous ne sommes plus partis en vacances avec nos petits enfants. Heureusement, j’étais en retraite ; j’ai pu m’occuper de lui jusqu’à la fin. Deux ans après le premier scanner, son état s’est aggravé. Ils l’ont mis sous oxygène 8 heures par jour d’abord, puis il a été dans un fauteuil à partir de 1999. Les deux dernières années il a été sous oxygène 24 heures sur 24. Pendant toute cette période, j’ai fait l’intermédiaire entre lui et les médecins. Il essayait de me rassurer et me disait souvent « ne t’inquiète pas, ça va aller  ».

Le professeur de Saint Louis nous a dit d’aller voir l’Andeva, C’était à la fin de l’année 2001. Son état de santé s’était beaucoup aggravé. Il était reconnu à 40%. A ce moment là, lui n’avait pas beaucoup d’espoir, et moi je me demandais : une association pour quoi faire ? Je suis tout de même venue avec mon dossier sous le bras... Mon mari m’a dit que pour après, pour moi et nos enfants, il fallait que je me batte. Avec l’Andeva, nous n’avons pas eu le temps de faire aboutir une demande en aggravation. Il est mort le 22 mai, l’année dernière.

Ça a été dur. J’ai du mal à me retrouver dans les papiers. Je n’avais pas beaucoup d’espoir de toucher une rente. Nous y sommes quand même arrivés. Je suis sûre qu’il aurait été fier de moi de m’être débrouillée et d’avoir obtenu cette rente de la sécurité sociale. Bien sûr, j’aurai préféré qu’il soit là, plutôt que d’avoir cette rente. Mais c’est quand même important pour moi. J’ai travaillé dur, mais je n’ai pas une grosse retraite. Cela m’aide quand même.

Lorsque cette démarche a abouti, je me suis sentie un peu de force et j’ai continué à passer à l’Andeva, à leur téléphoner. Je voulais les aider. Quand il faut envoyer des courriers, si je peux, je viens. L’ambiance est plutôt sympa avec les autres bénévoles qui ont aussi vécu ces choses là. On se remonte le moral ; on arrive à plaisanter et à rigoler quand on est tous autour de la table à plier des enveloppes. Même pour les manifs j’essaie d’être là. Devant le Fiva en novembre dernier, il faisait un peu froid, mais on est quand même tous restés. Le midi, avec quelques uns, on a même partagé nos casse-croûtes avec ceux qui n’avaient pas pensé à en ramener. Tant que je pourrais marcher j’irai les aider. »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°11 (septembre 2003)