Révolte contre
l’injustice, douleur de voir souffrir une personne qu’on 
aime, paroles de lutte et d’espoir...

Chaque jour des lettres arrivent à Vincennes ou dans les Associations locales. Elles expriment la peine, mais aussi la révolte des victimes et de leurs familles. En voici des extraits.

 

 


Dédié à mon grand-père

Le patron savait qu’il mettait en danger la vie des dockers manipulant de l’amiante. Il a gardé le silence, mettant beaucoup de vies en péril. Maintenant il n’est plus là pour voir le désastre qu’il a créé.

Ces hommes travaillaient sans protection. Ils ne savaient pas les risques qu’ils couraient. Très peu sont encore en vie .

C’est cette nuit-là que tout a été chamboulé. Mon grand-père et ses collègues déchargent un bateau chargé d’amiante . Il descend dans la cale. Tout à coup il est enseveli sous une tonne d’amiante pure. Ses collègues l’entendent crier. Il arrivent. Ils le retirent de là-dessous. Mais il a respiré beaucoup de fibres d’amiante...

Il y a un an et demi, mes grands-parents étaient chez nous. Mon grand-père dit qu’il a très mal au bras droit. Il souffre énormément. Au moment de dire au revoir à ma mère, il lui murmure :
« c ’est la dernière fois que je viens ; je suis gravement malade ». Ma grand-mère et ses proches ne savaient rien.

Nous avons eu des moments difficiles. A chaque coup de téléphone, nous n’osions pas répondre, de peur que ce soit déjà fini...

Il avait un cancer au poumon qui s’est peu à peu généralisé. Il a lutté entre la vie et la mort. Et puis il a baissé les bras. Sa flamme s’est
éteinte à 64 ans, le 17 février 2000. Maintenant son âme repose dans un des cimetières du Havre « le jardin des souvenirs ».

Je trouve ça dégoûtant qu’à 64 ans on puisse enlever un grand-père, un père ou un mari à des petits-enfants, des enfants ou à une femme. Cette maladie sournoise s’est déclarée 30 ans après. Bien que mon grand-père soit mort, il restera à tout jamais dans mon coeur et, je le pense, pas seulement dans le mien.

(Pour M. SANSSEAU Pierre)


Je tiens à témoigner

En 1994, après dix années de
galère, le verdict tombe : « Monsieur, vous êtes atteint d’asbestose très prononcée consécutive à l’inhalation d’amiante ». J’étais très étonné que ce produit miracle puisse engendrer des dégâts à l’intérieur du corps humain. Et pourtant !

Alors les démarches pour la reconnaissance en maladie professionnelle se sont engagées. Un spécialiste m’avait dit : « la société n’a pas su vous protéger, mais elle vous doit réparation ».
Et un vrai parcours du combattant débute. Reconnu par le collège des trois médecins d’une asbestose nettement caractérisée d’origine professionnelle classée N° 30, mais sans droit aux soins ni IPP et à revoir dans trois ans, c’était la cotisation mutuelle de tous mes camarades qui payait mes soins hospitaliers : médecins, pharmacie, kiné.

Je me retrouvais seul avec mes problèmes, conscient de ne pas être unique dans ce cas. Puis un jour, une voix de Paris au téléphone : « nous allons créer l’ANDEVA avec d’autres associations pour regrouper les nombreuses victimes de l’amiante ». Pour moi, beaucoup d’espoir
à dater de ce jour. Après la voix d’Henri, celles d’Hélène, de Marie, de Josette, d’Annie. Et des Associations ont vu le jour dans beaucoup de
départements en France. Pour la région Ouest d’abord Saint-Nazaire, puis Brest, puis Lorient, avec des centaines d’adhérents, victimes ou familles de victimes. Je mesurais alors l’étendue des dégâts occasionnés par l’amiante avec son train de souffrances, de larmes et de deuils.

Dix-huit mois après être reconnu en maladie professionnelle, prise en charge intégrale de tous les soins, plus IPP. Et aussi de nombreux passages devant la Justice après des plaintes. D’abord mon dossier a
été orienté en Cour Nationale des Incapacités, après passage au tribunal du contentieux. Ensuite, parallèlement quatre passages devant
les tribunaux de Grande Instance de Saint-Nazaire - Quimper, puis en Cour d’Appel à Rennes.
Je puis affirmer qu’à chaque passage devant les instances judiciaires, j’avais plutôt l’impression d’être coupable que victime. Je témoigne aussi de la pénibilité des examens médicaux en milieu hospitalier auxquels sont soumises les victimes. Et pour la constitution des dossiers, la difficulté de retrouver des amis de travail 30, 40 ou 50 ans après, pour obtenir des attestations d’exposition à l’amiante.

La combativité des victimes à travers leurs associations liées à l’ANDEVA a permis de faire éclater au grand jour le scandale de l’amiante.
Une vraie catastrophe. Je suis convaincu que les générations futures bénéficieront des luttes engagées depuis quelques années. Si pendant
des décennies la situation des victimes de l’amiante était occultée, rien ne se fera plus comme avant.

Je tiens à témoigner de l’utilité et de la nécessité que vivent les associations : dans le début de mon engagement en 1994, une veuve de victime m’informait que son mari, ouvrier de la navale (DCN) était décédé de l’amiante en 1976. Elle se trouvait depuis cette date sans
pension avec deux enfants à charge, dont une handicapée. Après quelques recherches, il n’y avait plus trace de son dossier à l’hôpital.
Les camarades de l’ADDEVA de Brest ont réussi à retrouver les documents dans les archives du Centre Hospitalier. Un dossier est constitué pour cette dame pour qu’elle puisse obtenir une pension.

Comme quoi la lutte paie. Et que toutes les victimes puissent obtenir réparation. C’est mon voeu le plus cher.

Henri Ayoul


Article paru dans le bulletin de l’Andeva N°8 (avril 2001)