Charles est employé par le CAPER Bourgogne, Françoise par l’ADEVA Cherbourg depuis la fin de l’année 1999. Tous deux parlent de leur activité.

Leurs parcours sont différents : L’un a suivi des études (économie, secteur sanitaire et social) ; l’autre a travaillé 23 ans à ALCATEL avec une solide expérience syndicale. Aucun ne connaissait le problème de l’amiante.

Un apprentissage tous terrains

Très vite il a fallu assimiler des connaissances dans les domaines les plus divers : réglementation, pathologies, actions judiciaires, expositions professionnelles... "

Durant l’année 2000, raconte Charles, il y a eu des procès tous les deux mois. J’étais bombardé de questions, avec des tas de sigles que je ne connaissais pas : TASS, CIVI, CRA, TCI... J’ai travaillé avec les avocats au téléphone".

"On apprend sur le tas, explique Françoise. On profite de l’expérience des autres. Serge m’a donné des repères pour comprendre les maladies professionnelles, Raymond pour les fautes inexcusables..."

Charles doit ses connaissances médicales de base, à Lucien Privet (de l’Association "Traces") ; c’est lui qui l’a initié aux arcanes des recours de la Sécurité sociale.

Françoise n’est certes pas devenue pneumologue, mais elle a appris à lire les compte rendus des EFR (épreuves fonctionnelles respiratoires) pour vérifier les taux d’IPP fixés par les caisses..

Tous deux ont suivi la formation organisée à Vincennes par l’ANDEVA en juin dernier. "J’ai apprécié qu’elle s’appuie sur des documents écrits, dit Charles.Pour les salariés embauchés par une association de victimes il faudrait prévoir une formation initiale rapide et efficace, qui donne des repères sur le système d’indemnisation, les délais, les recours...".

Françoise estime que pour assimiler vraiment une formation initiale, il faut aussi commencer à s’impliquer soi-même dans le suivi des dossiers.

Savoir écouter

Françoise souligne : "le plus important c’est d’écouter, et parfois de décrypter ce que veulent les personnes qui viennent à la permanence"

"Ce n’est pas simple, dit Charles. Les gens ont parfois du mal à mettre des mots sur ce qu’ils endurent. Quand on a perdu son mari il est plus facile de dire "il a souffert" que de dire "j’ai souffert". Le vécu est douloureux, et s’accompagne parfois d’un sentiment de culpabilité : "j’aurais voulu faire plus pour lui..."

"Il faut savoir écouter, insiste Françoise. Comprendre le malaise d’une veuve qui se culpabilise ( "J’ai perdu mon mari et maintenant je demande de l’argent...") pour pouvoir le dépasser ; comprendre l’angoisse d’une victime atteinte de plaques pleurales (une des maladies de l’amiante les moins graves) qui redoute que les médecins lui cachent un cancer, et qui a besoin d’être rassurée. L’accueil est très important."

Monter un dossier de maladie professionnelle, suivre chaque action en justice, cela demande du temps et de l’énergie.

"Les expositions professionnelles des victimes d’Eternit. sont flagrantes, explique Charles, mais à Creusot-Loire, rechercher des expositions anciennes était plus difficile. J’ai fait appel l’Union locale CGT pour recueillir des informations".

Françoise décrit la course d’obstacles que les victimes doivent affronter : "certaines maladies professionnelles sont refusées par les caisses pour des raisons incompréhensibles. Des veuves sont privées d’une rente à laquelle elle auraient droit. Les blocages sont pires encore à la DCN. Sans parler des dossiers des militaires ! Tout le monde se renvoie la balle. Il faut se battre, écrire, engager des recours..."

C’est une longue marche, souvent chargée de souffrances : "Nous n’avons pas affaire à des dossiers, mais à des personnes. Nous les connaissons. Elles se confient. Certaines nous disent des choses qu’elles ne peuvent pas dire chez elles : sur leur crainte de la dégradation physique, sur leurs inquiétudes pour le difficile combat que devront assumer leur conjoint et leurs enfants. Il faut essayer de leur apporter une écoute, un réconfort. Et si plusieurs jours passent sans nouvelles, les rappeler pour savoir ce qui se passe."

Il y a aussi des gens que les lenteurs de l’indemnisation ou la vaine attente d’une cessation anticipée d’activité conduisent à l’exaspération.

Charles explique : "Certains se retournent même contre l’Association qu’ils ont tendance à rendre responsable de leurs difficultés. Il faut jouer la transparence, expliquer les limites de la loi, et leur dire d’agir avec nous pour la changer."

20 coups de fil par jour

La charge de travail est assez importante : à Cherbourg il y a en moyenne 10 visites et 20 coups de téléphone par jour.

Il faut être disponible, mais aussi savoir s’organiser, dégager des plages horaires pour travailler au calme sur les dossiers.

Il y a aussi la prévention et l’environnement : "On tombe sur des problèmes presque insolubles comme les coûts exorbitants de l’élimination de certains déchets amiantés pour des particuliers, dit Charles. Il y a d’autres produits que l’amiante : au Creusot j’ai travaillé avec des syndicalistes sur la toxicité des fibres céramiques".

Une dernière question : quelle est la qualité principale d’un salarié d’une association de victimes ? Françoise et Charles répondent ensemble sans hésiter : "la patience !"


Article paru dans le bulletin de l’Andeva N°8 (avril 2001)