Pendant des décennies l’usine CMMP à Aulnay-sous-bois a broyé l’amiante à 50 mètres de l’école du Bourg...

Aujourd’hui les victimes se multiplient chez les ouvriers et les habitants du quartier. La démolition de l’usine risque de faire courir de nouveaux risques à la population.

En 1938, le Comptoir des minéraux et matières premières (CMMP) s’installe à Aulnay-sous-Bois (93) : une entreprise de broyage de minéraux en plein coeur d’un quartier pavillonnaire de la banlieue ouvrière. Ses fenêtres donnent d’un côté sur le maraîcher et l’école du bourg, de l’autre côté sur le cimetièreet les pavillons.

Pendant plus de 40 ans, l’entreprise va broyer et défibrer de l’amiante, du mica et du zircon, au mépris des règles d’hygiène et desécurité les plus élémentaires.

Malgré les plaintes répétées des riverains...

Malgré les plaintes des riverains qui, dès 1938, ont manifesté leur opposition à l’installation de cette usine insalubre, malgré leurs protestions contre les nuisances qu’elle occasionnait, le CMMP a pollué tout un quartier en toute liberté.

Et en toute impunité ? L’avenir le dira car une enquête judiciaire pour contamination environnementale est aujourd’hui en cours au parquet de Bobigny. Elle conduira peut-être les dirigeants du Comptoir des minéraux sur le banc des accusés pour déterminer leur part de responsabilité dans la mort de Pierre Léonard, décédé d’un mésothéliome en 1996, à l’âge de 49 ans.

Pierre n’a en effet jamais travaillé dans l’amiante. Mais il a vécu toute sa vie à deux rues du CMMP.

Pour Nicole et Gérard Voide, soeur et beau-frère de Pierre, tout commence avec cette question : comment Pierre a-t-il été contaminé ?

Nicole, qui a grandi dans le quartier, se souvient de cette entreprise que l’on appelait « l’usine d’amiante ».« J’ai écrit au maire, explique-t-elle, pour savoir quels produits étaient fabriqués. Il m’a été répondu : traitement de silice et d’oxyde de fer".

Gérard et Nicole consultent les archives du cadastre : sur un plan de l’usine de 1968 figure l’atelier d’amiante. Aux Installations Classées de la préfecture on leur dit que l’activité de l’amiante n’a pas repris après la guerre (Joëlle Briot, PDG du CMMP, l’écrit dans une lettre). Or Pierre est né en 1947... Mais la consultation des archives municipales réfute ces affirmations.

Les procès verbaux des conseils municipaux d’Aulnay sont instructifs : depuis 1938 et de façon répétée, les élus ont pris acte des plaintes des riverains. Ils ont demandé à l’usine d’assurer une meilleure étanchéité de ses ateliers. Ils ont même initié des enquêtes sanitaires ou de l’inspection du travail. Dans le compte-rendu d’un conseil municipal de 1955, Gérard relève : "Le conseil s’étonne que les démarches de Monsieur le maire soient restées sans résultats. On se heurte à un mur, quand on écrit au préfet, il ne répond pas".

Les archives livrent aussi les nombreuses pétitions signées par les riverains. Certaines font état de la poussière d’amiante qui recouvre les tombes du cimetière, les légumes du maraîcher, les jardins des pavillons, la cour de l’école. D’autres se plaignent du bruit incessant des broyeurs.

Le CMMP oppose à ces plaintes des arguments qui méritent de figurer dans une anthologie de l’hypocrisie et du cynisme des industriels. En 1963 par exemple, la direction de l’entreprise écrit au maire : "Nous sommes obligés de laisser ouvertes les portes de l’atelier d’amiante pour avoir accès au stockage de matière (?) Nous signalons d’ailleurs que les terrains de l’usine, en été et à l’automne, sont remplis de projections lorsque certains riverains font brûler herbes sèches et brindilles et que nous n’avons jamais protesté contre cette pratique".

Des proches voisins de l’usine leur racontent : "A la naissance de notre fille, en 1961, notre médecin nous avait dit de ne pas la mettre dans le jardin, que c’était dangereux.." Un médecin qui savait de quoi il parlait puisqu’il était aussi le directeur du bureau municipal d’hygiène et visitait le CMMP.

Un autre riverain leur parle de son père qui faisait l’entretien des machines au CMMP dans les années 50 : "Quand on vient me dire qu’il n’y avait pas d’amiante dans cette usine, c’est archi faux".

Les Voide se rendent sur le site de l’usine désertée. Les ateliers et bâtiments de stockage laissent voir des restes de pseudo faux-plafonds constitués de bâches en plastiques tendues sur des fils.

En 1999 - pour la première fois - le ministère de l’Emploi et de la Solidarité leur écrit : "L’établissement CMMP fabriquait de la farine d’amiante de 1945 à 1975".

Peu après, Gérard met la main sur un annuaire des entreprises (Kompass) de 1986 : parmi les activités du CMMP à Aulnay figure encore la fabrication d’amiante en poudre. Gérard et Nicole sont alors convaincus que l’usine d’amiante a contaminé d’autres personnes.

Un projet de lotissement sur le site de l’usine

Par ailleurs, courant 2000, une agence immobilière présente un projet de lotissement sur le site de l’usine.

Le maire adjoint, saisi par le couple, « rappelle que les services préfectoraux avaient conclu en 1996 à l’absence de danger sur le site de cette ancienne usine fermée depuis 1990 ».

L’Addeva 93 organise alors en novembre 2000 une réunion publique dans le Vieux-Pays d’Aulnay. L’objectif est à la fois d’alerter les riverains sur les dangers que représente la démolition d’un site contaminé par l’amiante et de recueillir d’autres témoignages sur d’éventuelles contaminations passées.

Des victimes témoignent

Plus de 100 personnes participent à la réunion.

M. Abdelkader Mezzoughi témoigne : son père, ex-employé du CMMP, est mort à l’âge de 59 ans d’un cancer du poumon dû à l’amiante. Il n’a jamais été reconnu en maladie professionnelle.

Monsieur Tanner, un ex-riverain qui n’a jamais travaillé dans l’amiante, annonce qu’il est atteint d’un mésothéliome.

Une dame parle de son mari décédé d’une asbestose en 1986. Il a travaillé au CMMP.

Une autre, qui n’a jamais travaillé dans l’amiante, s’est vue retirer un poumon en 1974. Il contenait une bouled’amiante.

D’autres participants s’inquiètent. Des riverains, des parents d’élèves, la directrice de l’école maternelle du bourg, la même école qui a vu passer Pierre Léonard et des générations  d’écoliers. Tous expriment la volonté d’empêcher une démolition sans précaution du site. Tous expriment l’espoir d’une réparation pour les préjudices subis.

Un collectif de défense des riverains se crée.

Deux mois plus tard, , une délégation est reçue par le maire d’Aulnay. La délégation demande que le site soit sécurisé, qu’une étude approfondie sur la contamination du terrain soit réalisée, et qu’une enquête de prévalence des maladies dues à l’amiante soit menée à Aulnay.

Aujourd’hui, où en est-on ?

Les autorités municipales ont gelé le permis de démolir. Lors du conseil municipal du 1er mars, un élu est intervenu pour rappeler les exigences de la délégation de décembre. Le premier adjoint, Gérard Gaudron, a répondu qu’une commission médicale sanitaire d’hygiène publique effectuerait une étude de prévalence au voisinage de l’usine et que la municipalité était d’accord pour faire effectuer de nouveaux sondages sur le site du CMMP.

L’enquête du parquet de Bobigny concernant la mort de Pierre Léonard et celle de la commission médicale sanitaire d’hygiène publique apporteront sans doute de nouvelles révélations.

Quoi qu’il en soit ; les riverains et l’ADDEVA 93 sont résolus à suivre de près ces enquêtes et à exercer un contrôle sur le démontage du site de cette usine protégée trop longtemps par une omerta meurtrière.



Article paru dans le bulletin de l’Andeva N°8 (avril 2001)