Une fiche industrielle à haut risque

 

La communauté de communes de Flers a annoncé une étude sur l’avenir du site. Qu’en pense l’Aldeva Condé-Flers

Jean-Claude Barbé : Notre association se bat depuis 16 ans pour que le site soit désamianté et déconstruit. Cette annonce est pour nous une grande satisfaction. Les choses avancent.

Quelle était l’activité de l’usine du Plat-Fond

A l’origine, l’usine du Plat-Fond était une filature. Elle a été créée en 1837 par un industriel du coton. En 1889 elle est devenue une filature d’amiante. Plusieurs sociétés se sont succédées sur ce site  : Ferodo, Valeo, Ferlam, Evers-Filature de la Vère...

L’usine employait entre 150 et 200 personnes qui tournaient en 3 équipes. La production a base d’amiante a atteint 700 tonnes par an. Elle a duré 70 ans. Le dernier exploitant, Ferlam technologies, a finalement remplacé l’amiante par des fibres de verre. En 1997, l’amiante a été interdit. En 2005, Ferlam a cessé toute actiité.

Quelles étaient les conditions de travail dans cette usine ?

Elles étaient très dures. Roger Amand, notre ancien trésorier, nous racontait comment des ouvriers pelletaient de l’amiante brut à la fourche, pour charger les broyeurs en sous-sol, avec sur le nez un petit masque en coton, totalement inefficace. Il était atteint de plaques pleurales et d’une asbestose sévère. Il n’est plus de ce monde.

Beaucoup de ceux qui ont travaillé dans cette usine ne sont plus parmi nous aujourd’hui. Si la vallée de la Vère a été surnommée « la vallée de la mort », ce n’est pas pour rien...

Que s’est-il passé après la fermeture de l’usine  ?

Le site a été laissé à l’abandon par Ferlam technologies. En théorie, il a été dépollué au moment de sa reconversion, quand les fibres de verre ont remplacé l’amiante. En fait l’amiante est toujours là. En 70 ans d’activité, l’usine a disséminé d’énormes quantités de poussières d’amiante sur le site, souvent dans des
endroits peu accessibles.

Dans les bâtiments, beaucoup de matériaux de construction contiennent de l’amiante : calorifuges, toitures, cloisons, cartons amiantés...

La situation a empiré depuis la fermeture, car ces matériaux se dégradent sous l’effet des intempéries, de l’action des végétaux qui ont repris possession du site et du saccage des locaux par des squatters et des visiteurs. Dans le nuit du 14 au 15 août, une rave party s’est tenue dans l’usine avec de 200 à 300 participants  ! L’Aldeva va porter plainte pour mise en danger de la vie d’autrui.

Les pouvoirs publics sont-ils informés ?

Oui, depuis des années ! En novembre 2020, j’ai écrit à Madame Barbara Pompili, la ministre de l’Écologie avec copie au Président de l’agglomération de Flers, au président de Région et au maire de Sainte-Honorine-la-Chardonne. Ma lettre est restée sans réponse. J’avais informé sans succès ses deux prédécesseurs, Ségolène Royal et Nicolas Hulot. Mais les choses commencent à bouger.

Flers-agglo annonce une étude sur l’avenir du site. Qui la financera ?

Flers-Agglo, la Région Normandie et l’Établissement public foncier de Normandie (EPFN) pour un montant total de 200 000 euros.

Le coût des travaux de désamiantage et déconstruction atteindra plusieurs millions d’euros. Flers-Agglo, l’actuel propriétaire du site, a des moyens limités et ne peut assumer seul cette dépense.

Y a-t-il d’autres possibilités de financement ?

Dans une lettre à l’Aldeva, Hervé Morin, le président de Région en évoque trois : le Fonds Friches finance des études et des travaux de démolition, désamiantage et dépollution des sols, sous la maîtrise d’ouvrage de l’EPFN, avec le concours financier de la région normande (40%) et de la collectivité bénéficiaire (25%). Il y a aussi les fonds européens
FEDER
  et le plan de relance de l’état.

En fait, c’est le principe « pollueur - payeur » qui devrait s’appliquer, même si l’ancien exploitant n’est plus propriétaire du site. Il faudrait créer un fonds national pour le désamiantage alimenté par les  ex-industriels de l’amiante.

L’Aldeva Condé-Flers aura-t-elle son mot à dire  ?

Nous demandons un droit de regard sur le cahier des charges et le déroulement de cette étude. Les fibres d’amiante sont très volatiles. Le vent peut les transporter sur des kilomètres.  Il s’agit de travaux à hauts risques pour les intervenants et la population. Nous demanderons a recevoir les documents réglementaires (diagnostic avant travaux, plan de retrait)  et à participer aux visites de chantier. Nos demandes sont légitimes car nous connaissons bien cette usine et ses victimes et nous ne voulons pas allonger la liste. La sécurité doit être respectée, comme cela s’est fait pour l’usine du Pont à Caligny.

Comment vois-tu l’avenir ?

J’ai 75 ans, j’ai vu trop de collègues tomber malades et mourir de l’amiante.
Je ne voudrais pas que les choses  traînent encore en longueur. Je vis la présence de cette friche industrielle toxique comme une plaie à vif qui ne cicatrisera que lorsqu’elle aura disparu.

Je voudrais voir enfin se tenir un procès pénal pour juger les responsables, pendant qu’ils sont encore de ce monde. 


UNE LUEUR D’ESPOIR

Pendant  des décennies l’usine Ferodo du Plat-Fond de Sainte-Honorine-la-Chardonne (Orne) était spécialisée dans la filature et le retordage de fils textiles à base d’amiante.

Elle est située sur les bords d’une rivière, la Vère, dramatiquement surnommée « la vallée de la mort », en raison du nombre impressionnant de victimes de l’amiante recensées sur ses différents sites.

Quand le dernier exploitant a mis la clé sous la porte, il a laissé à l’abandon un site qu’il n’avait jamais vraiment dépollué.

Cette friche industrielle délabrée est un danger public.

Le 17 juin 2021, Flers Agglo, l’agglomération de Flers, actuel propriétaire, a annoncé le financement d’une étude sur l’avenir de cette friche.

Pour l’Aldeva, qui demande depuis longtemps la sécurisation du site, cette annonce  apporte une lueur d’espoir.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°66 (septembre 2021)