Mon père est né au Portugal. Dans les années 70, il est venu en France où il a travaillé pendant 4 ans dans l’usine Eternit de Triel-Vernouillet. En 1981, il est retourné dans son pays natal. Il est décédé d’un  mésothéliome en mars 2020. Je l’ai accompagné jusqu’au bout.

Mon père avait depuis longtemps des problèmes respiratoires. En 1997, il avait été hospitalisé à Lisbonne pour une pleurésie. Chaque hiver, il respirait mal et toussait...

En janvier 2019, son état de santé s’est brutalement dégradé. Il était au Portugal et moi en France, où j’ai construit ma vie. Mais nous étions restés très proches. Il m’a dit : « les médecins ne savent pas ce que j’ai ». Ils lui faisaient des transfusions.

J’étais angoissée. Je voyais son état de santé s’aggraver et j’avais le sentiment qu’on nous cachait des choses. Je me suis dit qu’il fallait le convaincre de venir en France, pour savoir la vérité et pour qu’il ait enfin une vraie prise en charge médicale digne de ce nom. Il s’est montré très hostile à l’idée de s’expatrier.

Son état de santé a continué à se dégrader. Il était renvoyé d’hôpital en hôpital, sans diagnostic. Les médecins parlaient de « tuberculose non contagieuse », de « maladie rare du sang » ou de « facteurs génétiques »… Il fallait agir sans tarder.

Un interne avait vu dans son dossier qu’il avait été exposé à l’amiante et s’était étonné qu’il n’ait pas passé certains examens. La télé avait diffusé des reportages sur l’amiante. J’ai compris que j’avais besoin d’une aide. J’ai  cherché une association et j’ai trouvé l’Addeva 93. Nasséra m’a écoutée avec patience. Elle m’a confortée dans mon choix.

J’ai convaincu mon père. Je l’ai rejoint au Portugal et, le 1er octobre 2019, nous sommes partis tous les deux pour Madrid puis Paris. Il n’avait plus de forces. Il souffrait et respirait mal. Incapable de marcher, il se déplaçait en fauteuil roulant. Le voyage en train a été un calvaire. J’ai passé trois jours sans dormir.

Cette décision a été difficile à prendre, mais je ne l’ai pas regrettée. En France, les médecins ont posé un diagnostic de mésothéliome. A l’hôpital du Kremlin-Bicètre, il a été pris en charge par une équipe médicale formidable. Après dix jours en soins intensifs, il a pu recommencer à marcher et faire des promenades.

Il s’est fait des amis à l’hôpital. Il savait sans doute que ses jours étaient comptés. Je m’étais préparée à son départ. Mais la mort avait frappé trop tôt à sa porte. Nous avons pu encore, pendant 5 mois, nous voir tous les jours et passer de bons moments ensemble…

Il nous a quittés le 3 mars 2020. Je pense à lui tous les jours. C’était mon héros. J’aurais tellement voulu qu’il n’ait jamais travaillé chez Eternit. J’aurais voulu qu’il n’ait jamais respiré cette fibre maléfique qui a brisé tant de vies.

A Triel, les chefs lui avaient répété que l’amiante n’était pas dangereux. Il leur avait fait confiance. Mon oncle avait travaillé trois mois dans cette usine. C’est par lui que j’ai découvert les conditions de travail : les sacs d’amiante qui arrivaient par péniches étaient déchargés à dos d’homme ; les ateliers étaient blanchis par la poussière... J’ai acheté un livre qui explique comment les sacs étaient tranchés au couteau et versés à la main dans les broyeurs.

Tout au long de ces épreuves, l’Addeva 93 a été à mes côtés pour me soutenir. Si je n’ai pas sombré dans une dépression, c’est grâce à l’association et à Nasséra qui m’a beaucoup écoutée et beaucoup parlé. Ces conversations m’apportaient un bol d’oxygène et me redonnaient de l’énergie. J’ai beaucoup apprécié ses qualités humaines. Je sais qu’elle doit partir en retraite en septembre prochain. Elle sera très difficile à remplacer.

A la dernière assemblée générale, Alain m’a proposé de faire partie du C.A. de l’Addeva. Je ne pouvais pas refuser. La tempête n’est pas finie. Le bateau doit continuer à naviguer. Je ne souhaite à personne de vivre les horreurs que ma famille et moi avons vécues.

Il y a des choses à changer en France et encore davantage au Portugal : sur la prise en charge des malades, sur l’indemnisation des victimes et des familles...  Aujourd’hui mon activité professionnelle me prend beaucoup de temps. La pandémie de la Covid pèse sur chacun de nous. Mais j’espère pouvoir apporter ma contribution à cette cause.

Carina ALBERTO PAULO


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°67 (janvier 2022)