Animée par François Desriaux, la table ronde sur le pénal réunissait en présentiel François Lafforgue et Michel Ledoux, avocats des victimes, Emmanuel Dockes, professeur de droit et Laura d’Amico, avocate des victimes italiennes dans le procès « Eternit-bis », actuellement en cours.

Emmanuel Dockes commence par un constat et une question :  « Il est clairement plus facile de donner de l’argent aux victimes que de punir les coupables. Pourquoi un système judiciaire capable de condamner les auteurs de trafics ou de vols, ne parvient-il pas à réprimer les auteurs d’un massacre de masse ?

Où sont les obstacles ?

Beaucoup d’arguments vi­sent à prouver qu’il ne s’agit pas d’un meurtre puisqu’il n’y a pas d’intention homicide.

1) L’argument de Gaston Lagaffe : « Oups, j’ai été très maladroit ». Mais on est très loin de la maladresse, car il s’agit de personnes qui se sont habilement organisées pour faire durer l’exposition à l’amiante et bloquer des évolutions réglementaires.

2) L’argument du tueur à gages : « J’ai tué mais mon intention n’était pas de tuer. Je voulais seulement gagner de l’argent.  Nous connaissions le danger, mais nous voulions maintenir une industrie ». Tuer pour de l’argent serait-il une excuse ? C’est plutôt un fait aggravant.

3) L’argument  du conducteur alcoolique : « Je sais que j’ai pris un risque mais je ne voulais tuer personne ». En fait, pour le conducteur alcoolique, la mort d’une personne est incertaine, alors que pour l’amiante, il y a la certitude de tuer des gens dans la masse des personnes exposées.

Finalement, on a ici des agissements volontaires, organisés, avec des effets certains qui vont aboutir à tuer un grand nombre de personnes. Cela ressemble beaucoup à un meurtre.

Pour des raisons tactiques, la qualification retenue pour engager ces poursuites n’a pas été le meurtre, mais l’homicide involontaire, avec des critères qui semblaient plus faciles à remplir. Or, même avec cette qualification et d’autres moins graves (mise en danger de la vie d’autrui, non-assistance à personnes en danger), les procédures n’ont pas abouti.

La difficulté serait-elle liée au caractère collectif ?

Le drame de l’amiante n’est pas un fait individuel ; de nombreuses personnes ont collaboré pour provoquer ce massacre : le comité permanent amiante, des chefs d’industrie, une multitude de responsables. Il faut une grande organisation pour arriver à cela. Et chacun peut dire : « Ce n’est pas moi, ce sont les autres ».  Le droit pénal n’est pourtant pas démuni quand il rencontre une association de malfaiteurs. C’est un fait aggravant. Le fait de ne pas être le principal responsable n’exonère pas de la complicité. Dans l’affaire de l’amiante, les juges avaient les outils juridiques pour organiser la répression des coupables.

Si le problème ne vient pas du droit, d’où vient-il ?

En fait, c’est une question sociétale qui est posée : Quelle est cette société qui permet plus facilement de condamner un dealer qu’une organisation criminelle de masse ? Pendant longtemps, les industriels ont eu besoin de faire du lobbying.  Aujourd’hui ils participent directement aux décisions des gouvernements...

En conclusion, si ce combat est difficile c’est parce qu’il remet en cause un élément important de la structure sociale.

François DESRIAUX souligne qu’en Italie, le propriétaire des usines Eternit est poursuivi pour homicide volontaire et sera jugé par une cour d’assises.

Laura d’Amico présente un bulletin de santé de la justice italienne face au drame de l’amiante. Elle évoque deux questions : l’homicide volontaire et le recours à des « scientifiques mercenaires » (voir p. 30-31)

François Lafforgue  rappelle que les juges d’instruction et le parquet ont été désavoués par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel dans les dossiers Eternit et DCN. Il faudra envoyer ces jugements aux avocats des parties civiles en Italie. En France le 15 décembre, nous demanderons à la  Cour d’appel de renvoyer directement l’affaire devant un tribunal correctionnel.

Michel Ledoux approuve ce qu’a dit Emmanuel Dockes sur l’importance des victoires obtenues au civil. Au pénal, le principal obstacle, depuis plus de 20 ans, c’est le parquet.

Jean-Claude Barbé, de l’Aldeva Condé-Flers, dit que les victimes souhaitent que le procès ait lieu le plus rapidement possible, car si les choses traînent encore non seulement il n’y aura plus personnes à juger, mais les combattants risquent de n’être plus présents pour le voir.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°67 (janvier 2022)