Josiane Clavelin est militante du syndicat national des mineurs CFDT. Elle a travaillé comme aide-soignante à l’hôpital de la Sécurité sociale dans les mines de Freyming-Merlebach. Plusieurs de ses collègues ont un cancer du sein à cause des effets délétères du travail de nuit et des rayonnements ionisants.

Quand avez-vous appris  que le cancer du sein pouvait avoir une origine professionnelle ?

Je suis retraitée.  J’ai travaillé notamment en pédiatrie de 1978 à 2000 à l’hôpital de Freyming-Merlebach.  J’avais depuis longtemps constaté que plusieurs collègues qui travaillaient de nuit avaient un cancer du sein. Cette situation n’était pas normale. J’ai pris contact avec l’équipe AT-MP du syndicat des mineurs CFDT de Merlebach, mais nous n’avions pas assez d’éléments à l’époque.

En 2007 le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé le travail de nuit comme un « cancérogène probable » 

En 2016 sont parues une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (l’Anses) et une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) révélant un sur-risque de cancer du sein de 30% chez les femmes faisant du travail de nuit. Les conditions étaient réunies pour engager la bataille.

En 2017, nous avons constitué un groupe de travail avec l’aide du réseau des mineurs CFDT, puis un comité de pilotage avec des médecins, une épidémiologiste et un représentant de l’Institut syndical européen (ETUI), des militantes et militants des divers secteurs professionnels concernés.

Comment avez-vous procédé pour diffuser l’information et pour retrouver des victimes ?

Le bouche-à-oreille a fonctionné. Nous avons recensé une trentaine de cas de cancer du sein chez des femmes travaillant à l’hôpital de Freyming et au PHG de Creutzwald. Nous leur avons proposé un « café-klatsch», un moyen convivial de se réunir pour bavarder... Elles ont été d’accord pour agir.

L’équipe nationale de coordination CFDT a édité un dépliant informatif qui a été diffusé à plusieurs milliers d’exemplaires sur plusieurs sites (hôpitaux et aéroports).

Nous avons fait une réunion avec le docteur Lucien Privet. Il a expliqué les origines professionnelles du cancer du sein : le travail de nuit, les rayonnements ionisants, l’oxyde d’éthylène...

Des soignantes cumulent travail de nuit et rayonnements ionisants...

En pédiatrie, on travaillait en 3 x 8. Ces horaires augmentent la fatigue et détraquent nos rythmes biologiques.

Nous étions aussi exposées aux rayons X. Quand les enfants passaient des radios, l’examen se déroulait dans leur chambre, avec une radio mobile. Certains  enfants étaient effrayés. Nous les prenions dans nos bras pour les rassurer lors des radios. Nous n’avions ni tablier de plomb ni dosimètre.  Ces expositions étaient répétitives.

Vous avez décidé une « enquête-action » avec un questionnaire.

L’équipe syndicale nationale a rédigé avec le concours de Lucien Privet un questionnaire reprenant les facteurs professionnels et extra-professionnels.  Puis nous avons organisé deux réunions : une pour donner l’information, l’autre pour aider à remplir le questionnaire. Le respect de l’anonymat était garanti. Près de 700 questionnaires ont été remplis en Moselle.

Vous avez pris des contacts en dehors de l’hôpital de Freyming.

Oui, nous avons contacté Nelly et Keira; du syndicat santé sociaux, de Moselle.  Nous avons rencontré une équipe CFDT en Alsace, avec qui nous avons repris le processus de déclaration en maladie professionnelle.

Nous avons pris contact avec Monique Rabussier du syndicat CFDT d’Air France. Un groupe « cancer du sein » a été créé au niveau de la confédération.

En 2018, nous avons contacté Sylvie Pioli qui avait travaillé comme infirmière pendant des années en poste de nuit dans les Bouches-du-Rhône. Lorsqu’elle a eu un cancer du sein en 2014, elle a été effarée d’apprendre l’existence de facteurs professionnels. Avec des collègues elle a créé l’association CycloSein. En 2021, elle a déclaré son cancer en maladie professionnelle et s’est heurtée à un refus. Le contentieux qui est en cours sera pris en charge par le collectif et toute la CFDT.

Comment vous-êtes vous formées sur ce cancer ?

Deux formations ont été organisées par la CFDT à l’Institut du Travail de Strasbourg pour permettre aux militantes de s’approprier tous les éléments nécessaires. à la poursuite de l’action. Des membres de l’association CycloSein y ont participé.

Quels sont vos buts aujourd’hui ?

La prévention, la reconnaissance en maladie professionnelle et le maintien dans l’emploi :

- la prévention : il faut améliorer les conditions de travail, la protection du personnel et le suivi médical des personnes travaillant de nuit.

- la reconnaissance en maladie professionnelle : la CFDT a proposé que le cancer du sein soit inclus dans un tableau  6 bis (rayonnements ionisants) et un autre tableau pour le travail de nuit et l’oxyde d’éthylène.

- maintien dans l’emploi : un cancer du sein se traduit souvent par de lourdes pertes financières, voire par une perte d’emploi.  Psychologiquement, c’est très dur. La vie personnelle est bouleversée. On vit sous une épée de Damoclès, avec la crainte de la rechute. Deux femmes de notre service sont décédées d’un cancer du sein. C’est dur aussi pour celles qui les accueillent et les écoutent lors des permanences. Quand on reçoit une jeune maman en chimio suite à une récidive, il faut savoir trouver les bons mots

C’est une bataille de longue haleine...

Oui, nous nous heurterons à des refus. Il faut nous préparer à de longues batailles judiciaires. Mais nous ne sommes pas seules et nous sommes déterminées.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°67 (janvier 2022)