MERCI LAURA

Deux procès “Eternit-bis” se tiennent devant les cours d’assises de Novare et  de Naples.  Le premier concerne des ouvriers et des habitants de Casale Monferrato tués par l’amiante. Le second concerne la commune de Bagnoli, qui, à l’époque, était le siège de deux usines Eternit.

Le propriétaire des usines italiennes Eternit est le milliardaire suisse Stéphan Schmid­heiny.

A Novarre, les plaintes concernent 392 ouvriers et habitants de Casale Monferrato, tués par l’amiante d’Eternit.

Lors du dernier congrès de l’Andeva en octobre dernier, Laura d’Amico, leur avocate, malgré une charge de travail écrasante liée à ce procès hors normes, a accepté de participer à nos travaux par visioconférence. Qu’elle en soit remerciée.

Nous publions ici un extrait de son intervention.


Un homicide volontaire de 392 personnes

Le chef d’accusation est très grave  : il s’agit de l’homicide volontaire de plusieurs centaines de travailleurs et de citoyens  (pour le site de Casale Monferrato, des plaintes ont été déposées pour 392  personnes décédées d’une maladies liée à l’amiante, la majorité d’entre elles étant des victimes environnementales).

Avec la qualification d’homicide volontaire, il n‘y a pas de prescription et en cas de condamnation, la peine prévue est la réclusion à perpétuité. Ce chef d’accusation gravissime a été retenu par le procureur de la République de Vercelli et le procureur de la République de Naples. C’est pourquoi le procès Eternit bis en cours sera jugé par la cour d’Assises de Novare.  

L’accusé avait une pleine conscience du danger

Les procureurs de Vercelli et de Naples se sont basés sur les éléments de preuve recueillis lors du premier procès Eternit.

Ils démontrent  que l’accusé avait connaissance et conscience de la dangerosité de l’amiante, et qu’il y avait dans cette entreprise des conditions de travail précaires, sans aucune sécurité, qui ont existé, y compris à la fin de la période durant laquelle Schmidheiny a géré l’entreprise (1976-1986)

Une désinformation systématique de la population

Ils démontrent aussi que durant cette période, Schmidheiny a mené, par l’intermédiaire de diverses sociétés, un travail de désinformation systématique de la population, doublé d’une activité “d’espionnage” allant jusqu’à rétribuer durant de longues années des personnes chargées d’infiltrer les associations les plus combatives (l’AFEVA de Casale Monferrato) afin de connaître et de contrer leurs initiatives.

D’où l’accusation d’avoir consciemment poursuivi cette activité industrielle dangereuse  sans respecter les obligations réglementaires en matière de sécurité. L’accusé étant parfaitement conscient du danger qu’il faisait courir à la fois aux travailleurs et aux habitants de la ville.

Il acceptait que ses actes pourraient avoir pour conséquence la mort d’êtres humains

En agissant ainsi, il acceptait indirectement le fait que ses actes pourraient avoir comme conséquences la mort d’êtres humains (cette acceptation pouvant, selon l’accusation, accréditer l’hypothèse d’un comportement éventuellement malveillant)

Le chef d’accusation retenu est l’homicide volontaire avec une possible intention frauduleuse (omicidio doloso) et non le chef d’accusation habituel d’homicide coupable involontaire (omicidio colposo).

C’est ce qui constitue la grande nouveauté du procès Eternit bis. Une nouveauté mais aussi – inutile de se le cacher –  un pari risqué : au cas où la Cour d’Assises serait en désaccord avec la  position du Parquet et jugerait que le comportement de l’accusé répond à la qualification, bien moins grave, d’homicide multiple aggravé, une bonne partie des plaintes portant sur des faits anciens, seraient considérées comme prescrites. » 

« Dans ce procès, comme dans tous les procès où les victimes sont atteintes d’un mésothéoliome, on assiste à une confrontation forte entre deux types d’experts :

- d’une part des experts désignés par les défenseurs des dirigeants de grands groupes industriels détenteurs d’un pouvoir économique (avec parmi eux des personnalités  du monde scientifique, illustres, mais “très sensibles” à l’argent et plus attachées  à préserver les institutions que la santé publique) ;

- d’autre part des experts investis dans des institutions de santé publique, ayant à la fois une longue expérience et une grande honnêteté, qui sont cités par le Ministère public.

Les experts de la « science du doute »

Depuis de nombreuses années dans les procès concernant l’amiante et particulièrement dans celui d’Eternit, on assiste à une implication croissante des tenants de la “science du doute” : ils cherchent à faire croire aux juges que le modèle “multistade” du mésothéliome est contesté dans le monde scientifique, espérant obtenir, grâce à cet argument, l’acquitement des accusés.

Cela a eu pour conséquence un grave renversement de tendance dans notre jurisprudence et une perte de légitimité des arguments scientifiques.

Pendant plusieurs dizaines d’années, chaque fois que la Cour de cassation a eu à se prononcer sur le lien de causalité entre exposition à l’amiante (professionnelle ou environnementale) et survenue d’un mésothéliome, elle a validé la position des juges qui reconnaissaient (et reconnaissent encore) que toutes les expositions à l’amiante survenues au fil du temps ont joué un rôle dans l’apparition du mésothéliome.

C’est pourquoi tous ceux qui, au fil des ans, avaient occupé des postes de responsabilité d’entreprise devaient être considérés comme pénalement responsables des maladies et des décès qui étaient la conséquence de leur non-respect de la loi.

Un revirement de la Cour de cassation

Telle a été sa jurisprudence pendant des années. Mais, depuis 2010, la Cour de cassation a opéré un revirement majeur d’orientation.

Cela est dû à la fois à la ligne de défense des accusés qui s’est perfectionnée au fil des procès et à l’apport fondamental de la science mercenaire.

Un groupe bien identifié d’”experts” au service des grands groupes industriels internationaux s’est en effet employé à contester les thèses scientifiques très majoritairement reconnues au niveau international par la communauté scientifique, soutenant qu’il était impossible de conclure avec certitude que toutes les phases de l’exposition contribuaient au lien causal avec la maladie.

Lutter pour que justice soit rendue

Ces dernières années, cette confrontation est devenue de plus en plus âpre. D’où la nécessité d’instaurer un constant échange d’infomations entre tous ceux qui assurent la défense des victimes de l’amiante, en commençant par rechercher le maximum d’informations sur les scientifiques “mercenaires” pour contester leur professionnalisme, révéler leurs conflits d’intérêts et démontrer leur absence de fiabilité.

Travailler en réseau, comme nous l’avons toujours fait, jouer en équipe, telle est la politique qui nous mènera à la victoire. Sans se laisser abattre par les résultats négatifs de, en continuant à lutter pour que justice soit rendue aux victimes de l’amiante.

Telle doit être notre ligne de conduite, dans les procès Eternit comme dans tous les autres, pour protéger la santé et la  vie des travailleurs et des citadins. »

 


« S’agit-il vraiment de 392 mésothéliomes ? »

Telle est la question qu’ont posée les avocats de Schmidheiny le 22 novembre lors du contre-interrogatoire des experts du ministère public.

Une question vécue comme un coup de poignard dans le coeur par celles et ceux qui ont accompagné la  douloureuse fin de vie d’un être cher, emporté par cette maladie.

Pour les avocats de Schmidheiny doivent être rejetés de la liste des 392 victimes tous les cas de personnes décédées, dont le diagnostic de mésothéliome n’a pas été confirmé par une analyse immunohistochimique, cette analyse devant de surcroît être validée, après réexamen des lames issues des biopsies, par un anatomopathologiste choisi par la défense.


 

Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°67 (janvier 2022)