Ce 28 avril 2022, M. Éric Jonckheere, et ses avocats, maîtres Jan Fermon et Quentin Marissal, ont fait signifier à la société Eternit une citation à comparaître devant le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles. Ils estiment que la société, responsable de la maladie d’Eric Jonckheere, a commis une « faute intentionnelle » à son égard.

Eric Jonckheere, le président de l’Abeva, l’association belge des victimes de l’amiante, est atteint d’un mésothéliome. Il est le cinquième membre de sa famille atteint par ce cancer de la plèvre spécifique de l’amiante, très agressif, qui peut survenir 30, 40, voire 50 ans après l’exposition.

Une douloureuse hécatombe

Cette maladie a emporté  son père, Pierre Jonckheere (en 1987), sa mère, Françoise Van Noorbeeck (en 2000) puis deux de ses frères : Pierre-Paul (décédé en 2003 à l’âge de 43 ans)  et Stéphane (décédé en 2009 à l’âge de 44 ans).  Chacun des deux laissait une veuve et trois orphelins.

Pierre  Jonckheere était ingérieur dans la grande usine d’amiante-ciment Eternit de Kapelle-op-den-Bos, propriété de la famille Emsens, l’une des plus riches de Belgique.. Sa maladie était d’origine professionnelle. Tous les autres furent des victimes environnementales d’Eternit. Vivre à proximité de ces usines pouvait être suffisant pour être contaminé.

Le courage de Françoise

Dans un livre remarquable (Ma guerre contre l’amiante), Eric rend hommage à sa mère, une femme hors du commun qui eut le courage de refuser le chèque avec lequel Eternit avait cru pouvoir acheter son silence. Co-fondatrice de l’Abeva, elle engagea une action judiciaire au civil contre la société responsable de ces drames.

Après le décès de Françoise, ses fils survivants continuèrent son combat  qui déboucha sur une retentissante victoire judiciaire en 2011, confirmée en appel en 2017. La justice reconnaissait la lourde responsabilité historique de la société dans la négation d’abord, puis dans la minimisation de la dangerosité de l’amiante.

Faire évoluer le Fonds d’indemnisation

Aujourd’hui, Éric Jonckheere, comme beaucoup d’autres malades, est indemnisé par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante en Belgique (AFA). Il permet une indemnisation rapide des victimes du mésothéliome. Ce système a des mérites, mais comporte aussi des défauts que l’action d’Éric Jonckheere et de ses conseils veulent mettre en évidence et faire évoluer.

En finir avec l’immunité des responsables

Contrairement à l’indemnisation par le FIVA en France, l’indemnisation par l’AFA en Belgique implique la renonciation à toute action en justice pour obtenir des dommages complémentaires et faire reconnaître des responsabilités particulièrement lourdes des personnes ou des entreprises utilisatrices d’amiante à l’origine de la contamination et de la maladie. C’est un principe d’immunité accordée à ceux - entreprises et État - qui financent le Fonds.

Toutes les entreprises, qu’elles aient utilisé ou pas l’amiante, paient la même cotisation à l’AFA : un dix millième de la masse salariale. Une bonne affaire pour Eternit qui verse ainsi 9000 euros par an au Fonds, soit moins que la moitié de l’indemnité annuelle accordée à une seule victime de l’amiante. On est très loin du principe « pollueur - payeur »

Faire reconnaître la faute intentionnelle d’Eternit

Il y a cependant une seule exception à cette immunité, c’est la « faute intentionnelle » commise par le responsable du dommage, en l’occurrence Eternit.

Dans le droit belge - où la faute inexcusable à la française n’existe pas - la « faute intentionnelle » implique une volonté de nuire et la conscience qu’un dommage va survenir.

Eric Jonckheere et ses avocats  entendent démontrer, en s’appuyant notamment sur les attendus du jugement de la cour d’appel de 2017, que l’ensemble des circonstances qui ont mené à son exposition, sa contamination et sa maladie peuvent être qualifiées de faute intentionnelle, et donc qu’Eternit a commis une telle faute.

Ils attendent de cette procédure qu’elle apporte un complément d’indemnisation et fasse évoluer le débat sur l’immunité qui est bloqué jusqu’ici.

 


La carte des 160 victimes autour de l’usine Eternit de Kapelle 

En préparant son procès en appel, la famille Jonckheere a eu l’idée de géolocaliser les décès professionnels et environnementaux dus à l’amiante aux abords des deux usines Eternit de Kapelle-op-den-Bos, au nord de Bruxelles.

« Avec l’aide d’une amie et de l’abbé Van de Sande, qui est la mémoire du village, nous avons pointé un peu plus de 160 décès qui pouvaient être liés à l’amiante, en 25 ans, explique Eric Jonckheere. Beaucoup de travailleurs d’Eternit, mais aussi de personnes qui vivaient au voisinage.

Ces résultats sont tout à fait révélateurs non seulement des conditions de travail dans ces usines, mais aussi de l’étendue de la dispersion des poussières provoquées par leur activité. Une telle concentration de victimes ne peut être le fruit du hasard. »


Article paru dans le Bulletin de l'Andeva n°68 (juin 2022)