Dans les procès engagés en Italie par des victimes de l’amiante ou d’autres maladies professionnelles, les avocats des employeurs soulèvent deux questions : la qualification du délit et la genèse de la maladie. Laura d’Amico, l’avocate des victimes, éclaire ici les enjeux du débat judiciaire.

Négligence ou malveillance ?

« Celui qui cause la mort d’un travailleur, non pas parce qu’il l’a souhaitée, mais parce qu’il a été imprudent, négligent ou parce qu’il a enfreint la loi commet, selon le Code pénal italien, un homicide coupable (omicidio colposo) », explique Laura d’Amico.

« On retient la qualification d’homicide volontaire si le prévenu avait vraiment l’intention de tuer, ou si - en pleine conscience du danger de la situation de travail qu’il avait créée (ou tolérée) - il assumait le risque de causer la mort.
Dans cette seconde hypothèse, on parle d’homicide par malveillance (omicidio doloso) »

La décision de retenir l’une ou l’autre de ces qualifications a des conséquences sur le niveau des peines, sur le délai de prescription et sur la juridiction compétente.

Schmidheiny sera-t-il jugé par une cour d’assise ?

« A Turin, c’est l’homicide coupable qui a été retenu. A Naples et à Vercelli, le procureur général a retenu l’homicide volontaire.

Les peines encourues sont plus sévères s’il s’agit d’un homicide volontaire.
Pour un homicide coupable, il y a un délai de prescription qui prend en compte le temps qui s’écoule entre entre la faute commise et apparition de la maladie. On sait que ce temps est très long lorsque il s’agit d’un cancérogène.

Pour un homicide volontaire, il n’y a pas de délai de prescription, car les faits sont d’une gravité particulière et constituent une alarme sociale. Dans ce cas, l’accusé est jugé par une cour d’assises ».

Un débat biaisé sur la genèse du mésothéliome

Pour escamoter la responsabilité des employeurs, leurs avocats placent le débat sur le terrain médical.

Dans les salles d’audiences l’affrontement est sévère. Et l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation est malheureusement préoccupante.

« Dans un procès pénal la responsabilité est personnelle, explique Laura d’Amico. L’accusé ne peut être condamné que s’il est démontré que c’est lui qui est à l’origine de la maladie professionnelle.

Mais, si le travailleur a été exposé à des substances nocives pendant des années au cours desquelles plusieurs personnes se sont succédées aux postes de direction, lesquelles seront coupables ?

Tous ceux qui ont occupé ces postes, même pendant de courtes périodes, à condition de réussir à démontrer :
- qu’ils ont enfreint la loi ou le règlement en vigueur à l’époque,
- que l’exposition de chaque plaignant à ces substances durant chacune de ces périodes a contribué à l’apparition et au développement de ce cancer »

Le combat douteux des « spécialistes »
cités par la défense

Les employeurs développent une véritable stratégie du doute. Ils font citer des consultants peu scrupuleux, qui soutiennent que la communauté scientifique est divisée sur l’analyse des mécanismes de la cancérogénèse du mésothéliome.

« Ces pseudo-spécialistes, poursuit Laura d’Amico, prétendent que seules les expositions les plus anciennes - c’est-à-dire celles dont les responsables sont déjà morts ! - doivent être retenues comme étant à l’origine du processus cancéreux. Ils prétendent que les expositions survenues par la suite n’ont aucun effet sur le déroulement de la maladie.

Cette thèse est sans fondement. Il y a au contraire une certitude scientifique que chaque exposition a eu un effet sur le processus cancérogène, en contribuant à l’apparition du cancer ou à accélération du processus et à la survenue plus rapide du décès.

Par contre, lorsque des poursuites sont engagées au civil contre les entreprises encore en activité en tant que personnes morales, il est indifférent de savoir qui parmi les différents responsables a violé la loi et à quelle époque. Il s’agit démontrer la responsabilité civile de l’entreprise. »