En Ile-de-France et ailleurs, on assiste depuis des mois à des luttes tenaces contre l’amiante dans les établissements scolaires.

Elles expriment une prise de conscience du risque pour les élèves, les enseignants et les agents de service.

Au lycée Georges Brassens à Villeneuve-le-Roi au collège Balzac à Neuilly-sur-Marne, dans les écoles (maternelle et élémentaire) de la Rue Bachelet à Saint-Ouen, les situations varient mais l’exigence première est la même : travailler et étudier sans mettre sa santé ou sa vie en danger.

Les pouvoirs publics devraient prendre la mesure du problème : Le vieillissement et la dégradation des matériaux contenant de l’amiante en place depuis des décennies sont inéluctables.

Il faut en finir avec le déni, garantir la transparence, donner à chacun les moyens de savoir où est l’amiante et dans quel état.

Le but doit être ambitieux : éradiquer totalement l’amiante des bâtiments publics, en commençant par les écoles. Ce doit être une priorité nationale.

 

Dans les écoles construites avant 1997 (date d’interdiction de l’amiante en France), on trouve de l’amiante un peu partout : dalles de sol, colles, faux plafond, cloisons, toitures, parement de façades... Chaque année, la dégradation s’accentue.

Une exigence de transparence

Savoir s’il y a de l’amiante, où et dans quel état est une exigence légitime. Le dossier technique amiante (DTA), censé répondre à ces questions, doit être détenu par le chef d’établissement et mis à disposition des demandeurs.

Ce n’est pas toujours le cas. Au collège Jean Moulin d’Aubervilliers, le DTA avait été demandé et redemandé sans succès depuis 2010. En décembre 2012, les profs ont déposé un droit de retrait. Une heure plus tard, le DTA était retrouvé et distribué au personnel.

Pour les écoles de la rue Bachelet, il a fallu que les parents « retiennent » un responsable de la mairie pour obtenir la dernière version du DTA.

Le droit de se retirer d’une situation dangereuse

Dans l’Éducation nationale comme dans le privé, un salarié a le droit d’alerter l’employeur et de se retirer de toute situation dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger pour sa vie ou sa santé. Le chef d’établissement ne peut lui demander de reprendre son activité si persiste une situation de danger grave et imminent.Les textes précisent qu’aucune retenue de salaire ne peut être faite contre un salarié qui se retire d’une telle situation. En pratique, ce sont surtout des titulaires - moins vulnérables que les contractuels, les précaires ou les stagiaires - qui exercent ce droit.

Après la mise en évidence d’un DTA fantaisiste et de la présence d’amiante dans l’air, les enseignants du lycée Brassens ont exercé leur droit de retrait pendant 3 mois. Le retrait a été jugé légitime après l’enquête du CHSCT, mais condamné par le maire de Villeneuve-le-Roi qui a réclamé des retenues sur salaires. Le retrait a finalement été validé par le rectorat.

Construire une contre-expertise citoyenne

Presque partout, les profs se sont heurtés au même argument : « Vous n’êtes pas des spécialistes. Faites confiance aux experts ! ». Ils n’ont pas tardé à s’apercevoir que certains « spécialistes » disaient et faisaient n’importe quoi.

Dans les écoles de la rue Bachelet, un responsable technique de la mairie a osé dire qu’il n’y avait pas de danger puisqu’il n’y avait « pas d’odeur d’amiante » !
Au collège Balzac, les enseignants ont épluché le DTA - reçu très tardivement - et ont posé des questions qui fâchent : Pourquoi ce document n’a-t-il pas été régulièrement mis à jour ? Pourquoi le même matériau est-il classé un jour en liste A, un autre en liste B et un troisième en liste C ? Quelle valeur attribuer à des mesures d’empoussièrement réalisées hors de la présence des élèves et sans simulation d’activité ? etc.

« Nous sommes devenus un peu experts malgré nous », dira l’un d’eux.
Au lycée Brassens, un flocage brun amianté a été recouvert... par un second flocage blanc sans amiante, aussi friable que le premier ! Cette protection illusoire a commencé à se déliter. Ce procédé aberrant est une véritable faute professionnelle.

Les agents de service en première ligne

Beaucoup d’écoles ont encore des dalles de sol en vinyle-amiante (dalami). Les décaper avec une machine à disques abrasifs rotatifs est dangereux.

Dans une note d’octobre 2012, le recteur de l’Académie de Créteil avait écrit aux chefs d’établissement : « Je vous demande de veiller à ce que les opérations de décapage soient rigoureusement interdites sur des sols contenant de l’amiante, qu’ils soient en bon état ou dégradés. » Cette note est restée confidentielle.

«  J’ai fait cela pendant des années après 2012 », explique une salariée qui nettoie les sols au collège Balzac. On ne m’a jamais dit que c’était dangereux ».

Quand une dalle de sol se décolle, c’est souvent un agent de service qui la remplace, sans précaution particulière. Certains, croyant bien faire, éliminent même les traces de colle noire à la ponceuse, créant ainsi un pic de pollution, car la colle contient aussi de l’amiante...

Les intervenants extérieurs (artisans, PME) sont, eux aussi, en première ligne : dans une école de la rue Bachelet, des plombiers ont percé des trappes dans une cloison en amiante-ciment pour accéder à une tuyauterie. Personne ne leur avait rien dit...

Les élèves et leurs parents

C’est la santé de nos enfants qui est en jeu. Plus ils sont jeunes plus le risque est grand car les défenses immunitaires des tout petits sont plus faibles et leurs voies respiratoires plus proches du sol que celles des adultes.

Des parents le comprennent et se retrouvent aux côtés des enseignants. Les élèves se mettent parfois de la partie, comme au lycée Georges Brassens.

Mais d’autres parents se focalisent sur les problèmes immédiats : cours annulés, examens mal préparés, trajets allongés par un déménagement... sans voir au-delà. Des politiciens locaux tentent d’exploiter la situation en « chauffant » les parents contre ces enseignants fainéants qui veulent « allonger leurs vacances » aux frais de l’éducation nationale.

Une montée des risques psychosociaux

En fait, l’expérience montre que de tels événements sont anxiogènes pour les enseignants et les agents de service. Les premiers à lancer l’alerte sont considérés comme des excités, voire des fous... Quand le mouvement démarre et se prolonge, les profs sont écartelés entre l’envie d’exercer un métier qu’ils aiment et l’impossibilité éthique de reprendre les cours avec les élèves sans garantie qu’il n’y a aucun danger. Les arrêts maladie se multiplient...

Les agents de service, exposés sans le savoir, ont le sentiment d’avoir été traités comme des « moins que rien ». Le stress monte.

Certaines administrations mettent en place, une « cellule de soutien psychologique », comme si l’on était au lendemain d’un attentat. On aurait tort d’ironiser. Ce n’est certes pas la solution du problème. Mais certains enseignants y ont trouvé un lieu pour « parler de leur anxiété et des pressions de l’administration »...

De premiers résultats tangibles

La plupart de ces mobilisations se sont d’abord heurtées au déni ou à la minimisation du risque, sous prétexte de ne pas affoler...

Elles continuent, mais leur ténacité a d’ores et déjà obligé des administrations à lâcher du lest : revoir le DTA, diligenter des repérages ou des mesures complémentaires, organiser des visites, fermer certaines classes, recouvrir des dalamis par du lino, mettre en place un comité de suivi des travaux, former les agents de service, délivrer des fiches d’exposition, organiser un suivi médical des personnes exposées...

Ces mesures ont parfois été débattues dans des réunions très larges où se retrouvaient autour de la table enseignants, agents de service, parents, direction d’établissement, médecins de prévention, caisse régionale de Sécurité sociale, Agence régionale de santé... L’Addeva 93 y a souvent gagné le droit de cité.