Dominique, mon mari, a longtemps travaillé chez Federal Mogul à Pont-l’Évêque dans l’Oise où l’on fabriquait des plaquettes de freins. Il était mouleur. Il prenait la poudre d’amiante à pleines mains. Son travail était fatigant. Il manipulait des tonnes dans la journée.

Il ramenait ses vêtements de travail à la maison. C’est moi qui les lavais. Ils étaient couverts de poussières, tout imprégnés d’une odeur tenace dont il était difficile de se débarrasser.

En 2009, il s’est mis à tousser beaucoup. Il a passé des examens. Le scanner était normal. Cela nous a rassurés.

8 mois plus tard, il en a passé un deuxième : il y avait une tumeur de 6 centimètres. En huit mois, la progression avait été très rapide. Le cancer était déja arrivé au stade 4, avec une métastase à la colonne vertébrale.

Il était alors en pré-retraite « amiante ». J’étais moi-même en retraite depuis 2008.Nous aurions pu enfin vivre tranquilles tous les deux. Mais la maladie nous est tombée dessus.

Son cancer du poumon n’était pas opérable. Il a commencé des cycles de chimiothérapie et de radiothérapie. Il en revenait lessivé.

Il est resté durant toute sa maladie à la maison, sauf les 15 derniers jours de sa vie qu’il a passés à l’hôpital. Il n’y allait que pour ses soins. Rester chez lui l’aidait à garder le moral.

La maladie a chamboulé beaucoup de choses dans notre famille. Nous avons une fille unique et des petits-enfants qui l’adoraient. Quand il n’était pas là, ils demandaient : « Où il est pépère ? » Il fallait leur dire qu’il était à l’hôpital.

En février, le pneumologue nous a donné des papiers à remplir pour la Sécurité sociale. Nous ne savions pas trop ce que c’était. Nous étions déboussolés. Les papiers sont restés un mois sur le buffet, avant d’être remplis. Mon mari les a portés à la caisse primaire.
Sa maladie professionnelle a été reconnue et prise en charge à 100%.

Je n’ai jamais entendu mon mari se plaindre. Il me répétait toujours : « ça va aller... » Il a tenu bon jusqu’au bout.

Nous avions des rapports très fusionnels. Il ne voulait jamais me quitter. Même affaibli par la maladie, il voulait m’accompagner pour faire des courses.

C’était un homme très courageux. A la fin, il a accepté de participer à l’essai d’un nouveau médicament en sachant qu’il avait des effets très durs. Il a dit : « Si ce n’est pas pour moi, ce sera pour les autres. »

Il a été bien entouré par les médecins. Son oncologue de Compiègne s’est occupée de lui d’une façon formidable.

Il avait engagé une action en justice contre son entreprise. Il connaissait déjà Marcel Lagant, de l’Ardeva Picardie.Il me répétait : « Si je ne suis plus là, n’oublie pas qu’ils m’ont empoisonné. Il faudra aller jusqu’au bout... »

Nous avons beaucoup apprécié l’aide de l’association. Sans elle, j’aurais laissé couler.

Nous avons gagné une première fois au tribunal. La direction a fait appel. Elle a été encore condamnée par la Cour d’appel.

Cela fait deux ans et demi que mon mari est parti. Il y a quelques jours, j’ai trouvé mon petit-fils en larmes devant sa photo.

Nous, nous ne savions pas que l’amiante était dangereux, mais les patrons, eux, le savaient et depuis longtemps. Il ne faut pas les laisser causer tant de souffrances. Il ne faut pas baisser les bras, même si on en a envie. Il faut les arrêter. Il faut qu’on nous rende justice.